2 - Les limites de cette représentation

Le schéma de J. GADREY (1994 a) est intéressant dans la mesure où il met l'accent, d'abord sur la relation de service et plus précisément sur les modalités d'interaction et les relations sociales qui se construisent entre prestataires et clients à l'occasion du déroulement et du règlement des prestations, et ensuite sur l'environnement de la relation de service c'est-à-dire sur les acteurs indirectement reliés au conseil. Le schéma souligne notamment le rôle des institutions de régulation, dont objectif est d'apporter un peu plus de confiance et de sécurité dans les transactions, et des intermédiaires, comme si du fait d'un métier (le conseil), de "produits" (les prestations) et de processus de production (processus de prestation) flous, relevant de la singularité de chacun, il fallait recourir à une tierce partie avant de prendre des décisions.

Ce schéma permet également de distinguer service (flèche entre P et S) et relation de service (flèche entre P et C). Plus précisément, la relation de service correspond au phénomène d'interaction (de coproduction) entre le prestataire et le client. On la retrouve partout : dans la phase d'identification conjointe du problème où le client fournit des informations et le consultant éclaircit ces demandes, dans la phase de construction de la solution où des informations pertinentes sur la situation du client ne peuvent être obtenues qu'au travers de contacts directs, dans la phase de préparation du client où le prestataire va chercher à transférer des connaissances nouvelles au client... Cela dit, chacune des parties prenantes n'est pas toujours au centre de processus d'interaction : les individus ont des plages d'autonomies. Par exemple, le prestataire dans la phase de conception mobilise des capacités de réalisation d'un devis, dans la phase de prestation il va utiliser des méthodologies de son cabinet, plus tard à la fin du processus de prestation il va préconiser certaines actions... Tous ces aspects constituent le service et sont indépendants des relations prestataire-client (c'est-à-dire de la relation de service). De même de son côté le client a lui aussi des plages d'autonomie et notamment dans le processus d'utilisation où il se retrouve généralement seul.

D'une manière générale, ce schéma amène à considérer l'activité productive dans le conseil comme un système ouvert (Relations A et B sur le schéma) où des acteurs variés interagissent. Les relations sont donc au coeur de la dynamique et de la cohérence de cet ensemble et on rejoint alors P. VELTZ (1996) lorsqu'il parle d'une ‘"efficacité par les relations"’ 351.

Dans ce schéma, les liens entre les acteurs (offreurs et demandeurs) sont donnés, ils préexistent (Relations A), ou bien ils sont favorisés par les intermédiaires (Relations B). Cela dit, il nous semble que la dynamique du marché du conseil ne peut être comprise dans une simple logique de relations, et qu'il faut au contraire creuser davantage et souligner les dimensions qui contextualisent ces relations, parce qu'elles s'avèrent déterminantes et au coeur des logiques et dynamiques productives. Autrement dit, la portée de la représentation nous semble réduite du fait d'un désintérêt pour la question du contenu et des modalités d'existence des synergies relationnelles. Dès lors, il nous apparaît important de mettre l'accent sur le rôle des proximités (physique et socio-économique) dans l'émergence de ces relations.

Une autre critique apparaît quand on s'interroge sur les conséquences de ces relations entre prestataires et clients. Il nous semble que la mise en relation d'individus n'est pas une condition nécessaire et suffisante pour l'exploitation des avantages potentiels qu'elle constitue ; il nous semble plutôt important de tenir compte du fait que toute relation résulte d'une construction qui implique un certain "apprentissage". Les interactions directes de la partie basse du schéma entre le prestataire et le client seules ne permettent pas de comprendre la mise en route des processus d'intégration ou des processus d'appropriation des connaissances par le client. Plus précisément, cette représentation ne fait pas suffisamment ressortir la liaison étroite entre l'efficacité de la prestation de service et la mise en mouvement de la logique de coproduction

Face aux limites relevées dans la représentation de J. GADREY (1994 a), nous proposons ici une représentation en termes d'espaces352, laquelle cherche à mettre l'accent sur la contextualisation des relations entre les acteurs du conseil et sur la mise en route des processus productifs.

Notes
351.

"La performance économique dépend alors de la densité et de la pertinence des relations établies entre les acteurs des chaînes productives, entre les fonctions de la firme, entre les firmes et leurs fournisseurs et leurs clients, et ainsi entre les firmes et leur environnement. Or cette «productivité des interfaces» (P. VELTZ 1996) sous tend en profondeur la remise en cause des schémas tayloriens, où les acteurs ne coopèrent qu'à travers des processus séquentiels et routiniers, et suscite la mise en place de réseaux de relations qui deviennent une composante explicite de la stratégie de l'acteur. Ainsi, le devenir de ce dernier devient lié à celui de son organisation productive en particulier, et de son environnement en général" (A. LE ROY 1997, p. 250).

352.

Cette représentation s'inspire de celles présentées au colloque du RESER (Berlin 10/98) et au colloque de l'ASRDLF (Hyères 9/99) et s'enrichit des remarques faites à ces occasions (cf. JANUEL A.-M. 1998 et 1999).