1 - Les "espaces-production"

Les "espaces-production" sont constitués de l'espace de la relation de service, de l'espace des partenariats et de l'espace interne à l'entreprise de service.

a - L'espace de la relation de service

Il n'y a pas de prestation sans relation de service, c'est-à-dire qu'il faut réunir une demande de service (un client qui peut être une organisation industrielle, de service, privée ou publique) et une offre (une entreprise de service ou plusieurs). Le terme réunion est très important, on parle alors de coproduction, de co-construction353 pour mettre en évidence le fait que le client n'est pas extérieur à la prestation mais qu'il intervient dans le "processus de production"354 de la prestation, d'où l'importance de la proximité physique (face à face). Dans ce cadre-là, le prestataire et le client entretiennent une relation interactive et coopérative355 pour adapter le service au besoin spécifique du client (P. EIGLIER et alii 1979).

A l'intérieur de l'espace de la relation de service, deux dynamiques se manifestent356 : d'une part une dynamique de rationalisation de l'offre, parce qu'un consultant qui connaît bien un type de problématique aura tendance à relativement standardiser sa méthodologie d'intervention (c'est une manière de valoriser ses capacités de prestation), et d'autre part, une dynamique de personnalisation du service parce que, quel que soit le problème, il faut proposer une solution opérationnelle c'est-à-dire adaptée au besoin du client357.

Comme l'ont mis en évidence J. GADREY et alii (1992), le consultant mobilise ici des compétences en matière de conseil (expertise, expérience, efficacité)358, en matière de procédures (organisation des missions, étapes, mise au point de méthodes, outils, etc.), en matière d'intégration dans le sens où il est agent de liaison (il doit savoir animer des groupes transversaux, constituer et animer des réseaux, élaborer des langages de communication intermétiers, faire circuler l'information, développer une culture de coopération). C'est au fil de ses expériences, que le consultant se développe et développe ses compétences.

A côté de tous les savoirs nécessaires à l'élaboration de la solution (savoir être en relation, savoir comprendre, savoir-faire professionnel), il y en a un qui est fondamental pour que le client puisse mettre en oeuvre la solution : le faire-savoir. Plus précisément, le prestataire doit "préparer", former le client, transmettre des connaissances pour que, une fois la relation de service terminée, le client puisse mobiliser ces connaissances dans son processus d'utilisation et retirer le maximum d'effets. Parce que le consultant doit "faire-savoir" dans le sens de transmettre des connaissances, la relation de service est qualifiante, elle permet le développement d'un processus au cours duquel la qualité est socialement construite, valorisée et évaluée. Bien évidemment, l'efficacité de cet apprentissage interactif sera d'autant plus grand que les individus prestataire et client seront en contact (le transfert de connaissances tacites implique un contact direct, un face à face), qu'ils seront proches socio-économiquement (plus grande confiance, connaissance du degré de fiabilité de l'autre, visions minimales et générales partagées au départ, etc.) et cognitivement (meilleure appropriation et valorisation des connaissances par le client).

L'ensemble des relations de service (l'espace des relations de service) constitue la base d'expérience, de référents, d'apprentissage du prestataire sur laquelle il va puiser en fonction des problèmes auxquels il sera confronté. Cet espace permet donc au prestataire de s'affirmer et de se spécialiser (par les relations de service passées) mais également de s'enrichir (par les relations de service nouvelles)359.

Finalement, dans cet espace il y a interpénétration de l'échange, de la production et de l'usage ou comme le dit J. GADREY (1994 a, p. 38), ‘"(...) la relation de service se présente sous des formes diverses mais elle désigne un point nodal du système de production/transaction/consommation"’.

L'échange consiste au sens classique du terme à fournir quelque chose en échange d'autre chose. L'échange correspond à la transaction : le prestataire fournit un service en échange d'une rémunération.

La production ou plutôt la coproduction consiste à agir sur l'autre en fonction des besoins de celui-ci et en interaction avec celui-ci. Le consultant va chercher à résoudre le problème de son client, à construire son projet, à modifier sa dynamique..., à l'aide des informations que celui-ci va transmettre.

L'usage correspond au processus d'utilisation mis en place par le client à l'issue du processus de prestation. Le client ici mobilise les informations diffusées au cours du processus de prestation et les valorise dans son processus d'utilisation, afin de bénéficier de divers effets.

Il y a interpénétration de ces trois dimensions car d'une part, le marché remonte dans l'organisation de la production (du fait de la coproduction) et les boucles de rétroaction entre offre et demande se resserrent. En effet, il y a dans la production du conseil interpénétration des actes d'échange et de production. On ne peut échanger un service qui n'existe pas au départ, aussi les logiques d'échange et de production sont inséparables. D'autre part, l'élaboration du service redescend dans les processus d'échange et d'usage, jusqu'à la forme de coproduction par l'usager. La séparation entre le moment de l'élaboration et le moment de l'usage s'efface et ceci crée progressivement une sorte de continuum production-usage ; ceci est d'autant plus important que l'efficacité de la prestation de service est en étroite relation avec la capacité à mettre en mouvement la logique de la coproduction.

Notes
353.

O. GIARINI et J.-R. ROULET (1988) mettent en évidence la notion de "prosumer" pour souligner la contribution du consommateur au processus de production. F. GALLOUJ et O. WEINSTEIN (1997) présentent différents termes qui traduisent la participation du client : "interface", "interaction", "co-production", "servuction" (EIGLIER et LANGEARD 1987), "socially regulated service relationship" (J. GADREY 1992).

354.

Nous préférons parler de processus de production plutôt que de fonction de production, la première expression s'inscrivant beaucoup plus dans une perspective dynamique que la seconde.

355.

"(...) l'élément central de la nouvelle économie de services n'est pas d'ordre technique (...) mais d'ordre social (...)" (J. GADREY 1988, p. 45).

356.

JANUEL A.-M. (1998). "Rationalisation de l'offre - Personnalisation du service : Une caractéristique des activités de services informationnels", VIII Annual RESER Conference, Berlin, 8-10 octobre, 15 pages.

357.

Au cours des entretiens, toutes les personnes interrogées ont mis en avant l'impact "des réactions du marché" sources d'innovations et d'évolution des prestations.

358.

Pour D. MAISTER (1996), un contrat peut faire appel à la créativité ou à l'expertise, il nécessitera des professionnels de haut niveau ; il peut faire appel à l'expérience si le problème à résoudre offre des analogies avec les missions précédentes ; il peut enfin faire appel à la mise en oeuvre de procédures de routine et le consultant vend alors un processus.

359.

Comme le souligne P. LORINO (1995), il y a insertion de l'expérience actuelle dans l'histoire cognitive.