L'espace de validation d'un cabinet a deux utilités majeures. D'une part, il va faciliter le développement du marché actuel du cabinet, c'est-à-dire qu'il va accroître les probabilités pour que l'offre actuelle du cabinet trouve une demande. D'autre part, il va être le moyen de créer des marchés futurs, c'est-à-dire qu'il va permettre de préparer le terrain face à une offre nouvelle, un concept de service nouveau, une méthodologie nouvelle. Autrement dit, l'espace de validation d'un côté valorise l'existant et de l'autre met en place les conditions pour que l'émergeant trouve un véritable marché.
Pour ce qui est de la première utilité de l'espace de validation, différents acteurs vont intervenir dans le développement du marché actuel.
Les acteurs les plus importants sont les clients passés du cabinet et surtout leurs réseaux. Plus précisément, les impressions du client ou ses représentations à l'issue de la relation de service sont fondamentales : la manière dont il aura vécu la relation de service, les effets du service, le contact avec le consultant, la durée et la qualité du travail, la qualité du service... Tous ces aspects-là seront diffusés dans son réseau et par là contribueront à construire (ou affaiblir) la réputation du consultant ou de son cabinet ou de son offre364. Autrement dit, le degré de satisfaction du client est un indicateur de validité et les relations dans son réseau donnent finalement des ‘"indices de fiabilité sociale"’ (C. SAUVIAT 1994, p. 251). Mais, les clients jugent la qualité du travail, la qualité du service en fonction de leurs critères, qui ne sont pas des critères universels, mais des critères personnels donc très subjectifs (chaque individu a son propre cadre de référence)365. En conséquence, ce type d'information est d'un intérêt limité (J. DE BANDT 1995) : l'information est très partielle ; l'évaluation comporte des dimensions subjectives fortes (liées au poids des relations interpersonnelles) ; l'appréciation concerne la prestation particulière et non l'entreprise de service concernée en général ; le niveau de satisfaction est lié au bon déroulement de la prestation de service qui dépend aussi, dans une large mesure, du client lui-même ; et cette information, définie en termes absolus, concerne au mieux la qualité et pas le rapport qualité-prix. Malgré leurs limites (surtout leurs caractères subjectifs), ces informations apparaissent cruciales et déterminantes dans le jeu de la concurrence, dans l'ajustement offre-demande, et en fin de compte dans le développement du marché du conseil.
Les Universités et les grandes écoles ont aussi une action de validation. Par exemple, si l'Université attribue des cours à un consultant, ce dernier pourra utiliser et valoriser cette "reconnaissance" auprès de ses clients (moyen d'améliorer sa réputation, sa crédibilité auprès des clients en présentant un savoir-faire reconnu par l'Université) ; autrement dit, l'Université valide et crée des référents, donne là encore des indices de fiabilité, de qualité aux clients potentiels et permet le développement du marché.
La validation peut encore s'effectuer par des institutions publiques ; par exemple la DRIRE fait de la validation lorsqu'elle recommande sur liste tels ou tels cabinets en fonction de règles pragmatiques : en orientant les clients vers un cabinet donné, elle le déclare du même coup valable.
Enfin, lorsqu'une méthodologie est transférée et appliquée dans d'autres contextes, elle est en même temps validée et donc plus crédible. Le prestataire qui peut prouver la diffusion de ses méthodes verra des clients potentiels se transformer en clients réels. En effet, devant le choix d'un cabinet, les entreprises ont tendance à privilégier ceux qui proposent des approches classiques, rodées au détriment de ceux qui ont des approches plus originales.
D'une manière générale, pour que le processus de validation se mette en place le cabinet doit mobiliser des intermédiaires de toutes sortes qui médiatisent le dialogue du consultant avec la société. Cela dit, mêmes si les validations révèlent les méthodologies intéressantes ou les consultants et les cabinets de qualité, la validation n'est pas une norme, elle n'apporte aucune garantie quant aux résultats du service.
Pour ce qui est de la deuxième utilité, l'espace de validation va permettre de créer un monde dans lequel le conseil va se mouvoir plus tard.
Pour éclairer ce mécanisme qui fournit à un nouveau concept de service ou à une nouvelle méthodologie..., la force qui lui permet de résister aux critiques et l'espace de circulation sans lesquels il (elle) disparaîtrait, il suffit d'intégrer les réseaux qui sont solidaires de sa fabrication et de sa diffusion, et sans lesquels la nouveauté n'aurait pas d'avenir. Le réseau c'est l'ensemble des liens du consultant avec tous les intermédiaires qui sont autant de soutiens, de "porte-parole", d'alliés. ‘"Chaque porte parole rend lui-même compte à d'autres porte-parole qui le précèdent et qui sont à leur tour les délégués d'autres délégués"’ (M. CALLON 1988, p. 21). M. CALLON parle alors de "chaîne de médiateurs", de "cascade de porte-parole", de "chaîne de délégation".
Finalement, les propriétés de la nouveauté, sa capacité à résister à la critique et sa faculté à intéresser d'autres acteurs, ne lui appartiennent pas en propre : elles lui sont attribuées par les réseaux négociés et mobilisés pour la construire et pour lui fournir un espace de circulation. En fait il y a un long et patient travail de constitution de chaînes d'intermédiaires : les contacts avec les Universités, les participations à des colloques, à des séminaires, à des études, les articles dans la presse technique ou économique..., tous ces positionnements ("travaux d'infrastructures" ou "investissements hétérogènes" selon M. CALLON 1988) sont très stratégiques. Ils semblent extérieurs à l'activité de conseil (laquelle correspond aux missions chez les clients) mais sans eux l'activité n'existerait pas. Ces positionnements sont en fait des accélérateurs ou des multiplicateurs qui poussent jusqu'à l'extrême une dynamique et une logique déjà là. La validation apparaît alors comme un processus continu, qui consiste en la mobilisation progressive, tâtonnante et négociée de réseaux auxquels elle doit in fine sa robustesse et la mesure de son universalité.
Etant donné l'intérêt de ces réseaux dans la création de marchés futurs, l'enjeu sera de les construire, de les entretenir et de les étendre. Dès lors, les proximités physique et socio-économique vont avoir un rôle majeur car elles conditionnent l'émergence de réseaux locaux ou sociaux. Dans ces réseaux, les liens ne sont pas matérialisés par des contrats ou par des accords explicites, mais ils constituent un support de coopération et d'apprentissage collectif, un vecteur de diffusion d'informations à caractère professionnel ou de nouveautés. Finalement, les caractéristiques des réseaux ne se réduisent pas au simple canal d'acheminement (infrastructure) mais intègrent les possibilités de mises en relation d'acteurs. Les fonctions de transmission de l'information et de gestion des relations sont alors complémentaires. Les réseaux cherchent ainsi à faciliter la communication plutôt que les simples échanges d'informations.
Globalement, on peut dire qu'il s'agit de créer un pont entre les savoirs que l'entreprise détient ou dit détenir, et les besoins des futurs clients et marchés. Autrement dit, il s'agit de ‘"prêcher le délibéré pour obtenir l'émergent"’ (P. LORINO 1995, p. 169). Aussi le processus d'élaboration, de construction des représentations (par rapport à une nouvelle méthode par exemple) apparaît plus important que la méthode elle-même. Une très bonne méthode qui "dort" dans un cabinet a beaucoup moins de chance d'être reconnue qu'une méthode moins bonne mais largement diffusée et validée par l'intermédiaire de différents canaux. Cet ‘"acharnement à vouloir communiquer"’ (M. CALLON 1988) peut se traduire comme la volonté de construire un espace de validation.
Quelle que soit l'utilité de cet espace de validation, on peut conclure en disant qu'il apparaît comme un moyen de production dans la mesure où s'il n'y a pas de validation, il n'y a pas de marché, donc pas de production de conseils.
Nous voulons ici souligner les amalgames qui peuvent être réalisés par le client. Quand un client est déçu d'un consultant, c'est l'image de ce consultant seulement qui devrait être ternie et pas celle du cabinet tout entier. Malheureusement le manque de professionnalisme, de sérieux de certains consultants rejaillissent sur le cabinet concerné mais également sur l'ensemble de la profession.
L'interprétation est une "vérité raisonnée" où l'énoncé (signe) sur la réalité (objet) introduit le raisonnement (interprétant). "L'interprétation est un «pari de vérité», derrière lequel se profilent un parieur et un risque d'erreur, et non un énoncé dicté par des réalités objectives, immanent à celles-ci" (P. LORINO 1995, p. 79).