A - Un problème d'auto-organisation

Dans ce premier point, nous apportons d'abord des précisions sur le concept d'auto-organisation pour ensuite montrer son intérêt dans la compréhension de la structuration du marché du conseil.

1 - Définition

Selon les pionniers de la recherche sur ce sujet368, on dit d'un système qu'il est auto-organisateur s'il modifie sa structure de base en fonction de son expérience et de son environnement. Dans les sciences sociales et plus particulièrement en économie, on a tendance à caractériser les systèmes auto-organisés en insistant sur leur ‘"(...) capacité à faire émerger des processus locaux une structure globale qui s'avère ainsi ni imposée autoritairement par une instance supérieure, ni élaborée délibérément par les éléments de base"’ (B. WALLISER 1989, p. 254). La notion d'auto-organisation fait donc référence aux systèmes dont le comportement (stabilité, évolution, modification de l'organisation en fonction de buts proches ou lointains) résulte de l'interaction de composantes (c'est-à-dire les agents économiques). Aussi, un observateur n'ayant pas accès à une description fine d'un tel système voit celui-ci s'ordonner et réagir "spontanément" en fonction de buts qu'il se fixe lui-même369.

Cela dit, il ne faut pas négliger le rôle de l'environnement : traiter de l'auto-organisation implique de considérer le système comme ouvert, c'est-à-dire de prendre en compte ses interactions avec son environnement, de mettre l'accent sur les relations interactives entre le système et son environnement.

Dès lors, nous privilégions la conception de B. PAULRE (1997) laquelle est construite en partant de l'observation que dans bon nombre de situations, il y a auto-organisation dans la mesure où l'agent apprend et/ou son comportement est modifié. Or l'agent n'apprend quelque chose de nouveau que dans la mesure où son adaptation à l'environnement est imparfaite ; par cette interaction il obtient une information qui lui permet d'améliorer sa situation. Ainsi, selon B. PAULRE (1997, p. 136), ‘"Il faut considérer une entité qui émet et/ou élabore (propose) une réponse, un environnement qui réagit, c'est-à-dire qui «sélectionne» un résultat, et l'interprétation ou la réaction de l'entité sur celui-ci. Le processus d'apprentissage est un circuit ou une boucle qui passe par l'environnement et l'auto-organisation est une co-évolution"’. Dès lors ce qui va caractériser l'auto-organisation d'un système ouvert c'est l'adaptation, l'apprentissage et la sélection.

Ce qui semble essentiel dans l'usage de la notion d'auto-organisation, c'est l'affirmation du rôle de l'agent économique dans la constitution de la structure de son comportement, dans la façon de s'insérer dans son environnement et dans la formation de sa représentation du monde environnant en fonction de laquelle il agit370. Plus précisément, c'est la rationalité limitée de l'agent qui va exercer une influence majeure sur son comportement. Cette régulation interne (soumise à la rationalité limitée) est doublée par un réglage du milieu qui consiste à éliminer les actions dont les conditions externes se révèlent défavorables : une double sélection ou régulation s'impose, celle d'une construction interne c'est-à-dire d'une sélection ex ante, et celle d'une sélection par le milieu externe ensuite. Mais aucune des deux sélections est immuable, elles se transforment du fait de leurs propriétés auto-organisatrices.

Notes
368.

YOVITS M. C., JACOBI G. T., GOLDSTEIN G. D. (1962). Self-Organizing Systems. Washington : Spartan Books.

369.

Des systèmes physiques complexes, des systèmes biologiques, des systèmes sociaux..., sont décrits comme auto-organisés.

370.

Ici apparaît la principale différence avec l'approche darwinienne. Selon celle-ci la sélection détermine implicitement, et par une intervention externe un couplage adéquat entre le fonctionnement de l'organisme et la structure de l'environnement dans lequel il se trouve. Le comportement de l'organisme est abordé en extériorité. Le pôle environnement domine le pôle organisme par son rôle de "filtre" dans l'explication de l'ordre finalement apparu.

Les théories de l'auto-organisation s'opposent donc au darwinisme dans la mesure où les mutations offertes à la sélection ne peuvent être traitées comme des facteurs totalement exogènes. Les changements sont, dans les organisations contemporaines, construits, coordonnés, orientés même si les processus correspondants n'ont pas nécessairement le caractère de rationalité et de linéarité que certains lui attribuent, et même si la maîtrise en est limitée. La sélection elle-même peut aussi être en partie construite au travers de dispositifs institutionnels.

Le darwinisme explique l'ordre observé par la sélection ex post, mais il ne permet pas de justifier et d'expliquer totalement les types de mutations et la nature des changements offerts à la sélection. Son originalité est de dissocier totalement la mutation et la sélection pour montrer qu'un ordre émerge malgré tout. Mais les deux aspects sont importants. Aussi, la sélection est une explication minimale à l'existence d'un ordre. L'analyse interne est une explication nécessaire au contenu de l'ordre proposé.