b - La relation de service

Dans le processus de prestation, un consultant entre en contact avec un client. Le consultant apporte des méthodes (qui lui sont propres ou qui sont diffusées dans son cabinet), des savoirs, des compétences, de l'expérience, de l'information suivant son ouverture sur l'extérieur... Le client a de son côté des attentes particulières, des idées et un cadre de référence (des représentations) propres. L'interaction entre ces deux individus fait évoluer le marché du conseil dans la mesure où elle peut être source d'innovations, source de nouvelles méthodologies, à la base d'un plus grand professionnalisme du côté des prestataires, notamment devant les exigences pointues des clients, qui cherchent à s'ajuster en permanence à la concurrence.

La relation de service se présente donc comme une co-spécification, une co-production de l'objet de la transaction : le prestataire est le "maître du faire", il gère le service mais il s'appuie sur le client (d'où relation de service) qui participe aux processus de spécification et de production du service. Dès lors, une relation sociale se développe entre ces acteurs, et par conséquent un mode particulier de transaction et d'opération. Mais c'est précisément parce qu'elle recouvre deux dimensions (économique et sociale) que la relation de service constitue un mode de régulation des relations prestataire-client. La première dimension correspond à l'interaction opérationnelle et suppose l'apport, par les acteurs, de ressources spécifiques et complémentaires, compétences, savoirs techniques, connaissances des marchés... La seconde dimension (la relation sociale) semble être un préalable indispensable à la mise en oeuvre d'une telle coproduction, et une condition de son développement harmonieux. En effet, la coproduction implique de la part du client le dévoilement de ressources spécifiques et le partage d'objectifs stratégiques, qui ne peuvent se concevoir en l'absence d'une relation sociale dense.

La relation de service dans le cadre du conseil n'est pas un mode de coordination indépendant et substituable à la confiance, aux mécanismes d'incitation ou à l'autorité. Au contraire, la relation de service est en soi constitutive de confiance par les relations et l'étroite collaboration qu'elle implique entre prestataire et client, elle permet alors d'envisager la signature de nouveaux contrats dans le futur. De même, elle peut également aller avec des mécanismes d'incitation : elle limite les risques d'opportunisme et donc les incertitudes, étant donné par exemple que le comportement déviant d'un prestataire conduit à ternir sa réputation. Elle n'exclut pas non plus l'exercice de l'autorité comme mode de coordination, par exemple par la menace d'un retour au marché.

Cela dit, la relation de service n'est pas spécifique aux relations mettant en jeu un prestataire et un client. La relation de service se retrouve dans les relations prestataire-partenaire(s) (relations interfirmes) où elle devient un mode particulier de transaction et d'opération entre ces firmes. Elle est constitutive d'un facteur de pérennité des relations interfirmes (incitation à la fidélité), fondée sur une coopération active, une connaissance mutuelle des partenaires et sur la constitution de techniques, méthodes, savoirs, etc., en commun. Ainsi, dans le cas de relations prestataire-partenaire(s) (comme dans le cas de relations prestataire-client), la relation de service est un mode de coordination possible mais il n'est pas indépendant et substituable aux autres qui sont l'autorité, l'incertitude et la confiance. Là encore, la relation de service est constitutive de confiance par les relations interindividuelles et la coopération qu'elle implique. De même, elle peut aller avec des mécanismes d'incitation, notamment l'allongement de la durée de la relation, le partage de la quasi-rente d'innovation, ou la mise en place d'une démarche qualité cohérente. Elle peut également s'accompagner d'une mise en concurrence des partenaires potentiels. Elle n'exclut donc pas non plus l'exercice de l'autorité comme mode de coordination par la possibilité de recourir à un nouveau partenaire (même si cela entraîne des coûts) par exemple.

Bien évidemment la relation de service (comme mode de coordination des relations prestataire-client ou prestataire-partenaire(s)) entraîne des incertitudes qui portent sur les résultats de la coproduction, c'est-à-dire sur la valeur économique créée (surtout dans la relation prestataire-client), sur la répartition de la quasi-rente (notamment dans les relations prestataire-partenaire(s)), mais aussi sur l'apport effectif de chacun (prestataire, client, partenaire(s)). Elle entraîne également des irréversibilités, dans le cas des relations prestataire-partenaire(s), car les investissements relationnels, cognitifs et parfois même physiques, ne peuvent pas être redéployés sans enregistrer une perte élevée et parfois intégrale. Mais si la coproduction se développe malgré ces conditions d'incertitude et d'irréversibilité, c'est qu'elle constitue le moyen de créer une valeur économique nouvelle. On peut finalement en conclure que la relation de service apparaît comme mode de coordination économique, mais aussi comme principe de création de valeurs375.

Cette mise en évidence de la relation de service comme mode de coordination des relations prestataire-client et prestataire-partenaire(s) permet également d'identifier des mécanismes de socialisation des connaissances, participant au développement de la dynamique économique. En effet, la relation de service "réussie" est celle où le transfert des connaissances du prestataire au client est "réussi" (on pourrait également parler des transferts entre prestataire et partenaire(s)).

Pour ce qui concerne la partie articulée des savoirs et savoir-faire humains, il n'y a pas de problème de transfert d'un individu à l'autre, car la connaissance est dans une forme destinée par sa nature même à la communication entre sujets. Il peut simplement apparaître des problèmes d'assimilation ou d'appropriation du côté du client, quand les formes d'articulation (langage, conventions, codes utilisés) marquent des divergences cognitives. Autrement dit, l'émetteur (le consultant) peut transférer ou communiquer sa connaissance au récepteur (le client), mais, pour ce qui est de l'appropriation par ce dernier, tout va dépendre de leur proximité cognitive.

Il n'en est pas de même de la partie tacite du savoir. Cette composante du savoir, n'étant pas en forme symbolique, n'est pas communicable à distance. En d'autres termes, à côté d'éventuelles difficultés d'appropriation côté client (liées à la plus ou moins grande proximité cognitive), il y a des problèmes d'expression de la connaissance par le consultant. La transmission du savoir-faire doit alors prendre la forme d'un processus d'apprentissage (‘"apprendre par la pratique sous la direction d'un maître" ’(P.-A. MANGOLTE 1997, p. 122)). L'acquisition des connaissances tacites combine alors l'observation des performances d'autrui, l'accumulation d'expériences en situation et la modification de ses représentations ; on réalise ainsi progressivement une reproduction indirecte du savoir-faire, par une sorte de copie-mimétique, qui souvent reste imparfaite (‘"Il ne s'agit pas d'hérédité, l'héritage n'est que partiel" ’(B. GILLE 1978, p. 1428)). Un tel processus ne peut guère être séparé du cadre social lui-même qui organise et détermine ce type d'apprentissage et met face à face, dans une relation particulière, le consultant porteur des savoirs à transmettre et le client, futur porteur de la connaissance. Dans la perspective d'une analyse essentiellement cognitive qui porte sur la dimension tacite du savoir, le point important ici est la nécessité d'établir une relation personnelle et de proximité entre les deux protagonistes, autrement dit une relation de service.

Cela dit, que la connaissance à transférer du consultant au client soit codifiée ou tacite, elle se heurte toujours au filtre de l'interprétation. Par conséquent, on peut relever plusieurs corollaires. D'abord (premier corollaire) le transfert n'est jamais parfait : le consultant utilise des signes : mots, techniques matérielles ou immatérielles, etc., autant d'artefacts376 qui traduisent ou "représentent" sa connaissance ; puis ils passent dans la "tête" du client, c'est-à-dire qu'ils vont être interprétés par ce dernier et donc être influencés par son métier, son expérience personnelle, ses motivations spécifiques... Dans ces conditions, le transfert de la connaissance est loin d'être un "copier-coller" parfait. Ensuite, second corollaire, le transfert pour être réussi doit impliquer une connaissance, fut-elle imparfaite et limitée, de la manière dont fonctionnent les interprétations des clients. Aussi, transférer c'est interpréter les interprétations ex ante pour ex post influer sur elles, si les divergences cognitives sont importantes.

Notes
375.

Cela dit, la relation de service n'est pas spécifique aux relations mettant en jeu des entreprises de services, ni même à une relation portant sur une prestation de service ; cette relation de service se retrouve dans les relations client-fournisseur portant sur un matériel, bien d'équipement ou composant, spécifique et complexe, et en particulier dans les relations client-fournisseur de type projet.

376.

"On appellera artefact tout objet ou système, matériel ou immatériel (outil, machine, infrastructure, oeuvre d'art, logiciel, texte, code moral, règles de l'art), produit par l'activité humaine et non par la nature, et mobilisant certaines catégories de savoir-faire et de technicité («un art»)" (P. LORINO 1995, p. 18).