A - Première étape : les Charity Organization Societies

Pour mieux saisir ce processus, il faut sans doute remonter à la crise de 1873-1877, qui provoque la création des C.O.S. (Charity Organization Societies) de Buffalo (1877), New Haven et Philadelphie (1878). On a vu que l’initiative du Survey reviendra, trente ans plus tard, à celle de New York. Le rôle initial de ces nouvelles structures est de rassembler toutes les informations nécessaires à l’aide aux démunis, et de coordonner les efforts des diverses associations membres. Peu à peu, la plupart des grandes villes américaines suivent ces exemples : une centaine de C.O.S. naissent dans les années 1880, et la terrible crise de 1893 contribue à accélérer le mouvement de manière spectaculaire. Outre l’élimination de la « fraude » supposée, certaines familles pauvres essayant d’obtenir plusieurs aides différentes en s’adressant à une multitude d’associations mal renseignées les unes sur les autres, la presse spécialisée insiste surtout sur la nécessité d’une meilleure répartition des aides, et d’un contrôle plus efficace des besoins comme des dépenses :

‘« The basic idea of the charity organization movement was to promote cooperation and higher standards of efficiency among the older relief-dispensing agencies [...] With varying degrees of success, therefore, the charity organization societies acted as clearinghouses and bureaus of information. They maintained registries of all applicants for relief, with detailed records of the assistance given or refused by co-operating societies, and they undertook searching investigations of the need and worthiness of the ‘cases’ referred to them [...] Through force of circumstances, and not without qualms of conscience, some of the charity organization societies actually became purveyors of relief. Usually, however, they preferred to help the poor by providing such services as penny savings banks, coal-saving funds, provident wool-yards, day nurseries for the children of working mothers, and workrooms where women could be trained to become nursemaids, laundresses or seamstresses. »107

Cette nouvelle forme de l’organisation de la philanthropie urbaine reste très proche, à bien des égards, de la philosophie des oeuvres charitables du 19e siècle. Pour la plupart des travailleurs sociaux des années 1890, la pauvreté est encore un vice, et l’influence de la morale protestante reste extrêmement forte.108 Plus fondamentalement, l’action « sociale » reste conçue sous la forme d’une aide matérielle aux démunis, doublée d’une méthode de contrôle de populations au statut précaire. Toutefois, les C.O.S. introduisent une nouveauté décisive en employant des enquêteurs professionnels, chargés de rencontrer les familles et de déterminer l’aide la plus appropriée à leur situation. Cette tâche, longtemps réservée à des volontaires qui le concevaient comme un acte de charité chrétienne, est désormais reconnue comme une profession, socialement pertinente, économiquement productive (puisqu’elle permet notamment d’éviter les gaspillages), et rétribuée en conséquence. Le « travail social » devient réellement un métier.

Notes
107.

Bremner, Robert H. American Philanthropy. Chicago & London : The University of Chicago Press, 1970 [1960], p. 99.

108.

Degler, Carl N., Out of Our Past, New York : Harper’s & Row, 1984 [1959], pp. 403-405.