B - Deuxième étape : le settlement movement

Les articles préliminaires aux six volumes de ce qui s’appelle, dès l’origine, The Pittsburgh Survey, sont publiés en janvier, février et mars 1909 dans la revue Charities and the Commons. Ce magazine est né quatre ans plus tôt de la fusion de Charities, « hebdomadaire de philanthropie locale et nationale » édité à New York à partir de décembre 1897 par la Charity Organization Society de la ville, et de The Commons, organe du settlement movement dirigé par Jane Addams. En mars 1906, en même temps qu’elle absorbe Jewish Charities, bulletin d’information des associations philanthropiques juives, la revue adopte donc son nouveau titre, inspiré par deux formes chronologiquement décalées d’action philanthropique.

Cette double généalogie de Charities and the Commons est caractéristique de la première mutation qui s’effectue au tournant du siècle, sous l’impulsion des settlement houses, habitées par des travailleurs sociaux, installées au coeur même des quartiers difficiles dans de nombreuses grandes villes américaines, et offrant à la population locale un éventail de services allant des cours d’anglais - ou de couture - à l’assistance dans les démarches administratives. Pour une part, ce mouvement dirigé aux Etats-Unis par Jane Addams se réclame très clairement d’une tradition charitable chrétienne, renouvelée par le souci constant de s’impliquer dans la réalité urbaine et industrielle, exigence typique du nouveau Social Gospel prôné par des hommes d’églises tels que Walter Rauschenbusch et Josiah Strong. Toutefois, au-delà de cette tradition, les leaders du mouvement insistent sur la nature fondamentalement expérimentale de leur action. Pour Jane Addams, ce souci empirique se décline selon trois thèmes fondamentaux : d’abord l’hypothèse selon laquelle la misère est un problème qui relève de l’organisation sociale dans son ensemble, ensuite l’idée que la situation des plus pauvres ne pourra être résolue que par une compréhension approfondie des réalités du terrain, enfin le souci constant de la flexibilité des méthodes, seule susceptible de concilier la fiabilité des informations recueillies et l’efficacité des solutions proposées :

‘« The Settlement, then, is an experimental effort to aid in the solution of the social and industrial problems which are engendered by the modern conditions of life in a great city. It insists that these problems are not confined to any one portion of a city [...] The one thing to be dreaded in the Settlement is that it lose its flexibility, its power of quick adaptation, its readiness to change its methods as its environment may demand [...] It must be hospitable and ready for experiment. It should demand from its residents a scientific patience in the accumulation of facts and the steady holding of their sympathies as one of the best instruments for that accumulation. »109

Ainsi, même si le geste philanthropique reste fondé sur un sentiment « chrétien » - empathie ou compassion - la définition d’Addams pose, dès 1892, certains des principes qui inspirent quinze ans plus tard l’action du Survey : l’idée d’une expérience menée au coeur même de la ville et surtout le souci pragmatique d’adapter la méthode à l’environnement seront reprises par Kellogg, et se reflètent dans la multiplicité des approches qui cohabitent au sein du Survey :

‘« The work in Pittsburgh was [...] experimental, making repeated draughts on fresh sources of information, holding to a flexibility of front that admitted of a following up of clues such as the investigation itself uncovered, and only could uncover. »110

A Pittsburgh même, la Kingsley House, fondée au moment de la crise économique de 1893, est encore très active au moment où l’équipe de Kellogg enquête sur le terrain. Allen F. Davis, dans son histoire du mouvement des settlements, rappelle à ce sujet que le Survey s’est appuyé, au niveau national aussi bien que local, sur un certain nombre de membres éminents de cette organisation :

‘« The Pittsburgh Survey relied heavily [...] on the results and experiences of the settlement movement. Robert Woods, Florence Kelley, and John R. Commons served as an informal advisory comittee. The Pittsburgh settlement workers, especially William Matthews of Kingsley House, provided valuable assistance and information to the visiting investigators. » 111

Trois des quatorze auteurs du volume The Pittsburgh District (Robert Woods, Allen Burns, Frank Wing) sont membres d’un settlement, ou l’ont été. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’un deux, Robert Woods, rende hommage au travail de la Kingsley House et à son influence sur la « morale sociale » de la ville.112 Kellogg, quant à lui, n’hésite pas à reconnaître la dette du Survey dans son ensemble :

‘« If one were searching for great precedents for what was after all a modest undertaking, [...] it would be the group of Oxford men who took up their residence with Arnold Toynbee113 in London’s East End ; or the group who, under the leadership of Jane Addams, founded Hull House in Chicago’s South Side. »114

Le fondateur du mouvement des settlements en Angleterre, et sa disciple la plus connue aux Etats-Unis, sont donc nommément à l’honneur sous la plume de Kellogg, au même titre que les muckrakers Riis et Steffens.

Notes
109.

Addams, Jane, « The subjective necessity for social settlements », in Adams, Henry Carter, Philanthropy and Social Progress - Seven Essays, Montclair, N.J. : Patterson Smith, 1970 [1893], pp. 22-23.

110.

Kellogg, « Field Work », op. cit., p. 508.

111.

Davis, Spearheads, p. 173.

112.

Woods, op. cit., p. 36.

113.

Fondateur du mouvement, avec la Toynbee House, en 1884.

114.

Kellogg, « Field Work », op. cit., p. 514.