Au moment où est rédigé le volume intitulé The Pittsburgh District, en 1914, l’administration réformatrice de George W. Guthrie, arrivée à la municipalité en 1906, n’est plus aux affaires. Allen T. Burns en prend acte, avec regret, dans son article titré « The Coalition of Pittsburgh’s Civic Forces ». Néanmoins, outre l’éloge des principales figures réformatrices de la ville, de l’action de la Chambre de Commerce et des associations caritatives, le texte tente de dessiner un avenir prometteur à Pittsburgh, ainsi qu’au « sursaut civique » qui a saisi le pays dans son ensemble. Il propose aussi un rappel de ce qu’était la ville, à ses yeux, avant l’éveil de la conscience réformatrice :
‘« In her civic sectionalism, parochial instead of communal interests, neighborhood instead of municipal spirit, Pittsburgh thus puts in bold outline the organic problem of American cities generally. Like them, also, she has not distinguished between enlargement and growth, between an increase in territory and population and the development of united civic forces. In annexing new districts and in welcoming prospective immigrant laborers, she has not stopped to ask whether earlier additions to the body politic have been well digested and assimilated. Bigness and numbers have been accepted by Pittsburgh, as by other cities, as symbols of power, only to find that with cities, as with boys, over-growth often is accompanied by gorging beyond the capacity to assimilate. »167 ’Tâchant de n’aborder la question que sous l’angle technique, malgré la traditionnelle métaphore de l’enfance, Burns croit à la thèse de la simple « crise de croissance ». Il s’agit donc pour le Progressisme de rendre une cohérence - et un sens éthique - à ce « corps social » victime de tous les excès. Selon lui, les premiers signes de la guérison sont déjà perceptibles :
‘« For the lesson of the ‘house divided against itself’ which the nation was taught through the stress of the civil war, Pittsburgh paid her price in charitable waste and inefficiency, civic supiness and enmity, political crime and shame. Slowly she has learned the full meaning of Franklin’s warning to his fellow-patriots about ‘hanging together’. The centripedal forces are overcoming the centrifugal. »168 ’S’il est impossible de nier la puissance des courants qui s’exercent sur la ville, il faut en diriger la direction et les effets, comme l’affirmait dès 1908 Paul Kellogg. Pour ce faire, le Progressisme en appelle sans cesse à l’union sacrée, alors même que tout laisse à penser que les « classes moyennes » elles-mêmes, dont la réforme semble être l’émanation, sont traversées de certaines tensions. Pourtant, selon Burns, il ne fait aucun doute que le phénomène marquant des années 1898-1908 est cette « coalescence des forces civiques », plus ou moins clairement identifiées169 :
‘« Out of unwieldiness, then, in size and numbers, against sectionalism in all its forms, above personal ambitions and pride, past rivalries and enmities, have come at length the stirrings of united self-assertion for the common weal of all. »170 ’Le rôle précis du Survey dans cette évolution n’est pas aisé à définir. Essai d’analyse du phénomène industriel et urbain, lecture « technicienne » du champ social, c’est en même temps une première étape dans la modification du mode de fonctionnement de la communauté urbaine américaine : la justesse du diagnostic est déjà un pas décisif vers la guérison.
Dans le détail, toutefois, ce souci constant prend des formes variables. Sous la plume d’Allen T. Burns, il relève du simple bilan, voire du discours électoral en prévision de futures échéances municipales. Si l’on se replonge dans les volumes antérieurs signés John Fitch ou Margaret Byington, l’analyse est plus critique, voire polémique. Dans son rôle d’expert prétendument impartial, l’enquêteur du Survey ne se prive pas de manier vigoureusement l’éloge et le blâme. Ce qui ne manque pas de troubler, c’est que d’un auteur à l’autre, les conclusions apparaissent parfois pratiquement antinomiques.171
Kellogg, pourtant, tient à récuser le rôle de juge, ou même d’arbitre. A plusieurs reprises, le Survey tente de se faire passer pour une entreprise d’auto-définition de Pittsburgh. Au-delà de cette nécessaire prise de conscience collective, la simple volonté d’accepter une représentation « scientifique » et complète d’elle-même fait de la ville un exemple à suivre pour tout le pays. Au-delà de son cas individuel, c’est en effet toute l’Amérique qui doit se reconnaître et réagir, à la lecture des « faits » proposés et interprétés par le Survey :
‘« We did not turn to Pittsburgh as a scapegoat city ; progressive manufacturers have here as elsewhere done noteworthy things for their employes, and for the community. Yet at bottom the District exhibits national tendencies ; and [...] on the shoulders of a national public opinion must rest the responsibility for sanctioning, or for changing, the terms of work and livelihood which accompany industry. As a basis for that national public opinion, facts are needed ; such facts as the Pittsburgh Survey endeavored to bring to the surface. »172 ’La méthode, entre « inventaire » et « bilan », tient décidément plus de la gestion que du discours révolutionnaire. Sans doute est-ce là l’une des ambiguïtés du discours réformateur, qui tente de faire passer des questions éminemment politiques pour des problèmes de management :
‘« For the progressive men and women, broad-minded enough to put up with the easy jibes of rival cities which had undergone no such diagnosis, and courageous enough to face daily the exacting work of municipal upbuilding, the staff [...] bore [...] a feeling of sincere respect. But the Survey has not given Pittsburgh a black eye. Rather, Pittsburgh is pointed out as the city which at the present time of deficit in urban well-being has had the civic grit to take an inventory and publish a statement. »173 ’Cet hommage de Kellogg aux forces vives de Pittsburgh est aussi une façon de souligner que l’élan réformateur vient de la ville même, quelles qu’aient été la contributions des experts extérieurs que sont les travailleurs sociaux et les universitaires. Le Survey prétend en quelque sorte n’être rien d’autre qu’un porte-parole de la communauté elle-même, à qui elle tend un miroir où se reconnaître, sinon se découvrir. D’un univers urbain chaotique, Kellogg veut proposer une lecture compréhensible et complète. Il s’agit en réalité d’une simple mise en perspective - voire même d’une simple mise en forme, de la situation de la ville américaine à un moment-clef de l’histoire du pays :
‘«[...] it should be borne clearly in mind that the Survey has never made pretensions to being the founder, originator, or discoverer of civic progress in Pittsburgh. Its reports afforded a general view of conditions in a given year. »174 ’De même qu’il s’ingénient à ne concevoir leur action politique et sociale que comme l’aspiration naturelle - quoique souvent muette - de la communauté dans son ensemble, le portrait que les Progressites dressent de Pittsburgh dans le Survey ne serait d’après eux qu’un miroir sans fard de la réalité, un simple état des lieux. Outillée de ce nouveau diagnostic, il reste à la communauté à s’en saisir pour réparer les hoquets de la machine sociale, et proposer ainsi au pays un nouveau modèle industriel et urbain, à l’heure où Pittsburgh apparaît comme l’emblème de l’Amérique du 20e siècle.
Burns, op. cit., p. 47.
Ibid., p. 59.
Ibid., p. 44.
Ibid., p. 48.
Comparer par exemple l’article de Allen T. Burns dont il vient d’être question avec le texte de Paul U. Kellogg dans Wage-Earning Pittsburgh, p. 497.
Kellogg, « Field Work », p. 494.
Ibid., p. 513.
Ibid., p. 512.