CHAPITRE DEUX :
LE NOUVEAU MONDE

Si Pittsburgh est choisie comme sujet d’étude par les réformateurs, c’est entre autres parce qu’elle se trouve à une sorte de palier, quantitatif et qualitatif, de la croissance urbaine. On l’a vu, Paul Kellogg semble penser que New York est déjà perdue : ses 3,5 millions d’habitants et son développement anarchique lui ont fait dépasser un seuil apparemment fatidique (même si les critères objectifs de ce diagnostic restent vagues). Pittsburgh, à l’inverse, est présentée comme une ville dont on peut encore tenter de tirer le portrait, et où la notion de communauté n’est peut-être pas totalement illusoire.

Du point de vue du survey, elle présente semble-t-il deux avantages considérables  : d’une part, elle constitue une unité sociale encore en devenir ; d’autre part, elle reste un objet d’étude manipulable. Contrairement à New York, son développement est lié à un secteur industriel dominant, la sidérurgie. Elle attire une population immigrée dans le seul but d’alimenter cette production. Elle est menée par quelques grandes figures de la finance et de l’industrie, liés de près ou de loin à cette activité. Pittsburgh présente donc une espèce de « cas d’école », dont les auteurs du Survey s’emparent en toute connaissance de cause. Puisque cette ville préfigure, aux yeux de nombreux contemporains, l’Amérique du 20e siècle, il convient de l’« interpréter » avec justesse pour préparer l’avenir de la nation.

Afin de mieux comprendre ce qui guide le choix du Survey, et convainc la Fondation Russell Sage de consacrer à Pittsburgh son premier grand projet, on rappellera en quelques mots les grands traits de la mutation urbaine de l’Amérique du début du siècle, avant de cerner plus exactement les particularités qui font de Pittsburgh, dans le contexte très particulier de 1907, un sujet de choix pour l’expérience menée par Paul Kellogg et son équipe.