CONCLUSION

Les particularismes de Pittsburgh, alors que la ville est prise dans le contexte économique un peu hésitant des années 1907-1909, déterminent dans une large mesure la réalisation et le choix des photographies et des textes du Survey. Toutefois, le travail mené par Kellogg et son équipe prétend rendre compte, plus globalement, des bouleversements du paysage industriel et urbain des Etats-Unis. Les grandes tendances démographiques, économiques et sociales esquissées au début de ce chapitre motivent profondément l’action des Progressistes, qui y voient une série de dangers pour l’Amérique du 20e siècle. Elles sont omniprésentes dans les pages du Survey. Toutefois, la conjoncture immédiate qui préside à sa rédaction en influence fortement le ton et les images. Si l’échec de l’expérience Guthrie à Pittsburgh semble marquer une cassure dans l’élan progressiste, cela n’empêche pas certains historiens comme Robert H. Wiebe ou Nell I. Painter de déceler en 1907 les signes d’une accélération soudaine - quoiqu’éphémère - de la conscience réformatrice au niveau national.

Tel est donc le moment choisi (ou subi) par les auteurs de Survey, sociologues, travailleurs sociaux et simples bonnes volontés, pour tenter de saisir en une sorte d’ « instantané » la réalité mouvante du monde industriel américain du début du siècle. Le choix de la ville de Pittsburgh est justifié par le fait que celle-ci semble constituer ce « point d’intersection » où le Survey pourra relever à la fois les tendances longues de l’urbanisation entamée au 19e siècle, et les mutations récentes et particulièrement spectaculaires de l’industrialisation massive. L’un des rôles majeurs de la photographie est justement, aussi bien dans le Survey que dans certaines publications contemporaines à la gloire de Pittsburgh, d’articuler visuellement ces deux aspects de la grande ville industrielle. Dans la problématique sociale et politique posée par les réformateurs (Comment l’entité civique peut-elle s’accommoder de l’influence croissante des usines ?), les représentations de l’espace urbain permettent de proposer des discours contradictoires, où la ville apparaît tantôt comme une entité cohérente et prospère, tantôt comme un ensemble déstructuré, où le besoin de réforme se fait ressentir avec la plus grande acuité.