II. La ville-usine, modèle idéal

Le contexte iconographique défini en préambule ne permet que de dessiner à grands traits un système de représentations au sein duquel le Survey tente à partir de 1909 d’introduire des nuances plus ou moins marquées. Il ne saurait être question ici d’établir une typologie exhaustive des conventions visuelles en vigueur à cette époque dans la presse ou l’édition. Il serait illusoire d’espérer couvrir entièrement le champ ainsi défini. Le nombre de praticiens et d’images est tel qu’une entreprise de ce type n’aurait guère de sens, dans un domaine où les variations sont constantes. On renchérira donc volontiers sur les propos de David Nye lorsqu’il affirme:

‘« Industrial photography should not, therefore, be considered a single genre. It consisted of a set of representational strategies that varied from one subject to the next and that often originated elsewhere. »319

Non seulement il nous paraît évident, comme nous l’avons montré plus haut, que les formes de représentations de la ville industrielle (un champ plus large encore que celui défini par Nye) déclinent des modèles qui leur sont antérieurs, mais de plus, les multiples ramifications esthétiques sur lesquelles se greffent constamment des branches nouvelles découragent à l’avance toute prétention taxinomique. Il est toutefois possible d’exposer les grands traits de l’une des figures de style les plus courantes dans les représentations photographiques de Pittsburgh, le panorama, dont les diverses formes permettent de deviner l’emprise croissante des modèles industriels sur l’organisation de la cité.

Dans ce type d’image, les marques visuelles d’une fascination pour le nouvel ordre urbain paraissent multiples et incontestables. Mais il paraît tout aussi clair que le lyrisme d’un Charles Henry White, peignant Pittsburgh sous les traits d’un « monstre rugissant », est le plus souvent tempéré par les capacités de contrôle et d’organisation de l’espace propres à la photographie. Ainsi, vue dans son ensemble, la nouvelle ville-usine est le plus souvent un monstre dompté. La photographie, si elle emprunte parfois au sublime à l’occasion de certaines vues nocturnes, s’efforce de faire de Pittsburgh - à la lumière du jour - un symbole de progrès et de prospérité. Le prise de contrôle sur l’espace et le paysage est ainsi la forme la plus courante de la fascination pour la machine industrielle.

Cette capacité du panorama à construire une identité à la fois magnifiée et rassurante de la ville est précisément l’un des « clichés » que les auteurs du Survey vont s’attacher à remettre en cause, mais auquel ils cèdent à l’occasion. Ce système de représentation, dominant dans les publications de l’époque, tend vers une forme de synthèse visuelle, suggérant une cohérence spatiale et sociale dont on a vu, au cours du premier chapitre de cette étude, qu’elle était justement au centre des préoccupations de l’Amérique du début du 20e siècle.

Notes
319.

Nye, David E., Image Worlds : Corporate Identities at General Electric, 1890-1930, Cambridge, Mass. ; London : MIT Press, 1995, p. 151.