Traditionnellement, la famille chamito-sémitique est constituée de quatre groupes de langues : le Sémitique, le Berbère, l’Egyptien ancien et le Couchitique, ce dernier ensemble regroupant les langues d’Afrique de l’Est (M. Cohen, 1924).
Dans une étude sur la classification des langues africaines, J. Greenberg (1963), se base sur des principes méthodologiques prenant en compte un échantillon linguistique très vaste (en regard des analyses précédentes fondées sur l’analyse comparative de paires de langues) et une méthode d’analyse comparative reposant sur ‘la spécificité’1 de certains traits linguistiques communs (et non plus sur la simple opposition présence vs. absence d’un trait structurel ne prenant pas en compte les phénomènes de changements linguistiques) pour mettre en lumière la parenté chamito-sémitique des langues tchadiques (autrefois considérées soit comme pré-hamitiques, soit comme sudaniques). Il souligne, par ailleurs, le caractère impropre du terme « chamito-sémitique », qui selon lui trouve son origine dans les écrits anthropologiques du début du siècle :
‘“ The vagueness of the use of the term ‘Hamite’ as a linguistic term and its extension as a racial term for a type previously viewed as ‘Caucasoid’, has led to a racial theory in which the majority of the native population of Negro Africa is considered to be the result of mixture between Hamites and Negroes”. (J. Greenberg, 1963:49). ’Il propose ainsi un terme exempt de toutes connotations fondé sur des considérations purement géographiques :
‘“ I suggest the name Afroasiatic for this family as the only one found both in Africa and in Asia ’ (J. Greenberg, 1963:50). ’Cette division, de nature géographique, se base donc sur des points de convergence linguistique de nature différente (phonético-phonologiques, syntaxiques et morphologiques). Ces caractéristiques communes sont le résultat des intenses contacts linguistiques qui ont existé, pendant de longues périodes, entre ces différentes langues, ainsi qu’au brassage des populations lié aux vagues de migrations successives. Il est ainsi possible de repérer sur ce domaine linguistique de «nombreux isoglosses qui transcendent la classification traditionnelle et lient les langues et les dialectes 2 au-delà des frontières qu’ils tracent» (D. Cohen, 1988). Dans un état ancien, le sémitique (branche à laquelle appartiennent entre autres l’arabe et l’hébreu) semble avoir connu un système vocalique triangulaire, constitué de trois phonèmes, doublés d’une opposition de quantité (Figure 2).
L’ensemble afroasiatique se caractérise par ailleurs par la prédominance des segments consonantiques par rapport aux segments vocaliques. Nous ne citerons, à titre d’exemples, que les cas de l’arabe (classique) constitué de 26 consonnes et de 3 timbres vocalique de base , du berbère (Kabyle) dont le système phonologique se compose de 31 consonnes et de 3 segments vocaliques et de l’hébreu (biblique) qui atteste 22 segments consonantiques pour 5 segments vocaliques. Ce trait concerne, cependant, la totalité des langues de la famille (D. Cohen, 1988:33).
Du point de vue de la composition de leurs systèmes consonantiques, les langues sémitiques partagent, à quelques exceptions près, les mêmes modes (i.e. occlusif, fricatif, vibrant, approximant, latéral) et lieux d’articulation (i.e. labial, dental et interdental, alvéolaire, post-alvéolaire, palatal, vélaire, uvulaire, pharyngal et glottal).
Il convient à ce propos de noter l’importance numérique des consonnes d’arrière (vélaires, uvulaires, pharyngales et glottales) qui peuvent, a priori, constituer un trait distinctif pour l’ensemble de cette famille par rapport aux autres langues du monde.
Outre l’opposition de voisement/non-voisement, certaines langues sémitiques ont développé deux autres paramètres de distinction phonologique basés sur la gémination et l’emphatisation (i.e. pharyngalisation) consonantiques. Aussi est-il possible de distinguer entre consonnes simples et géminées et entre dentales et alvéolaires sourdes, sonores et/ou pharyngalisées. Le traitement et la distribution de cette dernière série articulatoire s’organisent de manière différente en fonction des langues et, à l’intérieur de chaque langue, selon le parler : le système ’commun’ hérité de la famille sémitique ayant évolué dans chacune des langues ‘filles’ de manière plus ou moins conservatrice. Nous présentons ci-dessous le système consonantique de l’arabe dit classique. Celui-ci constitue dans notre travail ‘la référence’ vis à vis de laquelle les changements encourus par les différents dialectes sont observés et/ou analysés (Tableau 1).
Bilabial | Labio-dental | Interdental | Alvéolaire | Post-alévolaire | Pharyngalisé | Palatal | Vélaire | Uvulaire | Pharyngal | Glottal | |
Occlusive | b | t d | t d | k | q | ||||||
Nasale | m | n | |||||||||
Trille | r | ||||||||||
Fricative | f | s z | s | ||||||||
Approximant | w | j | |||||||||
Latérale | l |
Un grand nombre d’études ayant pour objectif la classification génétique des langues se base sur la présence de certain nombre de traits communs ‘généraux’. Dans un ouvrage ancien sur la classification des langues africaines, Meinhof (1892) s’appuie sur un critère linguistique unique pour établir la parenté linguistique des langues tchadiques. Il considère ainsi la marque du genre comme un critère suffisant pour établir (ou rejeter) l’origine chamitique de ces langues. Or, comme le souligne J. Greenberg (1963), un très grand nombre de langues appartenant à des familles linguistiques très diverses partagent ce trait. En revanche, la proportion de langues attestant une marque de genre comparable au niveau de la forme (i.e. spécificité) est plus faible et la probabilité que ces langues soient liées génétiquement augmente de manière proportionnelle. L’analyse qu’il effectue sur ce principe montre, entre autres, que certaines langues tchadiques attestent bien l’opposition de genre, mais surtout des marques de genre comparables au niveau de la forme (i.e. présence des sons [-k] et [-t] à la base des suffixes et/ou des préfixes traduisant respectivement le masculin et le féminin des noms). C’est sur la base de ce principe - trans-linguistique et spécifique - que J. Greenberg revient sur les classifications antérieures et établit la parenté chamito-sémitique des langues tchadiques.
Un « dialecte » est un système de signes et de règles combinatoires de même origine qu’un autre système considéré comme « la langue » mais n’ayant pas acquis le statut culturel et social de cette langue indépendamment de laquelle il s’est développé. Un « parler », par opposition au « dialecte » considéré comme relativement uni sur une aire assez étendue, est un système de signes et de règles de combinaisons défini par un cadre géographique plus ‘étroit’ (village) et dont le statut social est, au départ, indéterminé. Dans ce travail nous emploierons de manière générale, le terme « dialecte » pour référer à la forme linguistique rattachée à un pays dans son ensemble (i.e. le dialecte égyptien) et qui constitue la langue maternelle des locuteurs par opposition à l’arabe classique qui représente un système acquis uniquement utilisé pour les conversations ‘formelles’ et le terme « parler » pour spécifier la région, la ville ou le village auquel cet idiome est rattaché (i.e. « dialecte » égyptien, « parler » du Caire).