La différenciation linguistique est une caractéristique générale des langues naturelles : aucune langue n’est parfaitement homogène et sous le nom commun « d’arabe » se cache, selon les locuteurs, de grandes variations dans tous les aspects de la langue (phonologie, phonétique, morphologie, syntaxe et lexique). Aussi, la « dialectalisation » doit-elle être considérée comme la tendance normale et naturelle de toute langue vivante répandue sur un territoire assez vaste et parmi une population relativement nombreuse. Nous dirons, à l’instar de Vendryes (1978), que ’toute langue existe d’abord sous la forme de dialectes’, ceux-ci se créant spontanément par le jeu naturel des échanges linguistiques en dehors de tout processus de standardisation. Cependant, définir de manière stricte et précise ce qu’est une ‘langue’ et ce qui constitue une ‘variante dialectale’ de ce même idiome n’est pas une tâche linguistique aisée. Même en réunissant la totalité des critères linguistiques pertinents pour l’identification d’un dialecte3 par opposition à une langue il est souvent difficile d’en fixer les limites.
À première vue, il semblerait que le classement des différents langages humains en termes de ‘langue’ et ‘dialecte’ va de soi et que l’on peut immédiatement décider à laquelle de ces classes appartient chaque parler. La distinction se ferait de manière hiérarchique : il y aurait de ‘vraies’ langues, nationales, officielles, normalisées, et des dialectes, dérivations régionales de la norme dont le degré de ressemblance avec la forme standard varierait en fonction de différents critères. La situation linguistique arabe constitue un terrain expérimental de choix pour l’analyse des rapports entre langues et dialectes de par sa constitution en ‘registres’ linguistiques.
Au sommet, se trouve une variété dite ‘classique’, ‘littérale’ ou encore ‘littéraire’ ; à la base, des dialectes, variétés régionales aux caractéristiques singulières. Entre ces deux formes apparaît une variété intermédiaire, écrite et parlée, commune à l’ensemble du Monde Arabe, désignée sous le terme ‘d’arabe moderne’, ‘vivant’ ou encore, et c’est cette dernière désignation que nous adopterons dans ce travail, ‘d’arabe standard contemporain’.
La littérature technique relative à la situation linguistique arabe et aux jeux de ces différentes formes dans la société est abondante, mais avant de mettre en lumière les principales approches qui la concernent, nous nous pencherons sur chacune de ces variétés linguistiques afin de retracer leur histoire, soulevant dès l’origine des problèmes d’ordre linguistique, et d’en rappeler les principales caractéristiques.
Un dialecte est un système de signes et de règles combinatoires de même origine q’un autre système considéré comme la “langue”, mais n’ayant pas acquis le statut socio-culturel et social de cette langue indépendamment de laquelle il s’est développé. Dans les pays où l’on trouve une langue officielle et normalisée, le dialecte est un système permettant une intercompréhension relative facile entre les personnes qui ne connaîtraient que le dialecte et les personnes qui ne connaîtraient que la langue ; le dialecte est alors exclu des relations officielles, de l’enseignement de base et ne s’emploie que dans certaine(s) partie(s) du pays (ou des pays) où l’on utilise la langue. Parois l’intercompréhension est toute relative et peut se réduire au sentiment de parler la même langue ou (comme en arabe) à l’habitude prise de rattacher les formes locales divergentes à une même tradition écrite : on distingue ainsi l’arabe littéraire ou classique et des arabes dialectaux (comme l’algérien et/ou le tunisien).