1.2.2.3. L’Arabe Standard Moderne

‘« L’unification de la langue est une nécessité sociale, sans elle, le monde présenterait l’image d’un morcellement de parlers qui se différencieraient de plus en plus. » (Vendyres, 1978:271).

Lorsqu’un pouvoir politique s’impose sur un territoire, son premier objectif linguistique est généralement de diffuser sa langue sur l’ensemble du domaine tout en répandant l’idée de la ‘supériorité naturelle’ de la langue officielle sur tous les autres idiomes du territoire. Ce processus s’accomplit d’autant plus aisément que la différence de statut socio-politique et culturel des parlers entraîne une différence d’aptitude à certaines fonctions. Une langue doit être suffisamment répandue pour permettre à ses utilisateurs d’entrer en relation avec le plus grand nombre d’interlocuteurs possible, c’est à dire, au minimum, avec la totalité des habitants du territoire national, et pour le domaine qui nous concerne, avec l’ensemble de l’unité politique que représente le monde arabe. Compte tenu de l’étendue du domaine linguistique dont il est ici question la diffusion de l’arabe standard n’a pas rencontré d’obstacle majeur avant une période relativement récente.

Par ailleurs, elle doit être en mesure de répondre aux besoins lexicaux qui se développent sans cesse, en particulier dans les domaines scientifique et technique. Seule une langue soutenue par le pouvoir politique peut satisfaire ces exigences, qui impliquent notamment la fixation d’une norme linguistique et l’existence d’une forme écrite, stabilisée, diffusée par le biais d’un enseignement formel et par les médias (radio, télévision, presse, littérature). Cette langue standard conserve le monopole dans toute la vie officielle, administrative et universitaire. C’est pour répondre à ces exigences que l’arabe moderne Standard est né. C’est aussi par le biais de cette langue pan-arabe ou supra-nationale, que deux locuteurs arabophones ’cultivés’ d’origines dialectales différentes peuvent se comprendre

Si ce qui caractérise une langue c’est avant tout son système grammatical, alors ’l’arabe moderne ne peut être distingué de l’arabe classique dont il a conservé presque intégralement la morphologie et la syntaxe’ (W. Marçais, 1931) ; seuls quelques procédés syntaxiques anciens sont omis et ’remplacés’ par de nouvelles formes. Le lexique est fortement ‘contrôlé’ et régi par des contraintes formelles strictes. Les formations ‘non-arabes’, résultant généralement d’emprunts aux langues européennes (français, anglais, italien etc...), sont nées du besoin de traduire des notions nouvelles issues du développement technologique du 19e siècle. C’est dans ce contexte ’dynamisant’ que s’amorce le mouvement de modernisation de l’arabe classique qui aboutit à l’arabe moderne. De ce fait, on peut conférer à cette langue un caractère quelque peu artificiel, et soutenir l’affirmation de Brunot (1956) selon laquelle, l’arabe moderne contemporain est « une langue fabriquée ».

Il serait cependant incomplet d’imputer la création de l’arabe moderne à la seule influence européenne. Les auteurs arabophones (journalistes ou écrivains) participent eux aussi à la construction de la langue. Ces derniers, acteurs de ce que l’on appelle la diglossie font quotidiennement usage des différents registres de la langue. L’Arabe Moderne n’est que le véhicule de leur expression écrite, et chacun d’entre eux possède aussi un instrument de communication ordinaire (i.e. un dialecte vernaculaire) souvent bien différent de la langue littéraire, et dont l’influence sur la langue standard est incontestable.

De plus, si l’arabe moderne se lit dans les journaux et s’écrit dans la correspondance, il est aussi devenu ‘langue parlée’ par le biais de la radio et de la télévision. Celles-ci ont en effet permis à la grande majorité des arabophones, toutes classes sociales confondues, de se familiariser avec cette forme linguistique même si elles n’en font pas, à l’instar des ‘lettrés’, un usage quotidien.

L’arabe moderne est donc, contrairement à l’arabe classique dont les usages sont limités à la liturgie, une « langue vivante » (Pellat, 1985). Sa prononciation est théoriquement ’phonologique’ et tente de suivre les normes classiques. On reconnaît cependant assez facilement l’origine dialectale d’un locuteur arabophone s’exprimant en Arabe Moderne, l’influence du substrat dialectal étant, en effet, un fait indéniable (Rjaibi-Sabhi, 1993).

En réalité, cette influence est telle que l’on a vu se développer parmi la communauté intellectuelle arabophone une forme parlée intermédiaire située entre l’arabe moderne et dialectal, appelée dans ses variétés moyen-orientales « arabe parlé formel » (Tarrier, 1991) et désignée au Maghreb sous le terme « d’arabe médian » (Taine-Cheikh, 1978). Selon ce dernier auteur, cette forme linguistique se définit comme « une forme d’arabe moderne plus ou moins mâtinée de dialecte ». Il se caractérise, en effet, par « un vocabulaire hautement classique attestant peu - voire pas - de désinences casuelles et d’une base morphologique, syntaxique et lexicale fondamentalement dialectale » (Khoulougli, 1996). Bien que son usage soit limité à des situations de communication semi-formelles et/ou inter-dialectales, l’Arabe Médian tend à se développer très nettement dans l’ensemble du Monde Arabe (Taine-Cheikh, 1978).