1.2.2.4. L’Arabe Dialectal

Si les langues communes (arabe classique, moderne, et dans une certaine mesure arabe médian) expriment les intérêts économiques, religieux, politiques et intellectuels communs à l’ensemble de la population, l’arabe dialectal trouve son usage pour l’expression de la vie quotidienne locale. Il constitue en ce sens la langue vernaculaire de l’ensemble des arabophones. Les dialectes arabes sont les langues maternelles des populations des différents pays arabes, et ces formes linguistiques sont parfois très différentes d’une région à l’autre. Acquis dès la petite enfance, l’arabe dialectal se distingue de la langue classique - apprise à l’école et commune à l’ensemble des pays arabes - par de nombreux points et à tous les niveaux de la langue.

Du point de vue diachronique, on ne peut postuler une origine simple pour la diversité des parlers qui se partagent aujourd’hui le domaine arabe. La situation actuelle procède, en effet, d’états anciens qui se caractérisent avant tout par le mélange, car il est évident que le brassage des populations aux temps de la conquête n’a pas pu être sans effet sur les dialectes parlés par les différentes tribus Arabes de l’époque et par extension par les quelques cent cinquante millions de locuteurs actuels (Crystal, 1998). Bien que différenciés, les dialectes anciens ne semblent pas avoir présenté de divergences essentielles. Les Grammairiens Arabes ont, en effet, relevé une structure de langue relativement homogène, plus ou moins conservatrice vis à vis de l’Arabe Classique et constellée de variantes dialectales dans la prononciation et le vocabulaire (Rabin, 1951).

En revanche, la co-évolution sur le terrain et sur de longues périodes temporelles, de l’Arabe Classique, Moderne, des dialectes anciens, de divers substrats, d’origine sémitique ou non, et des adstrats turcs et indo-européens a mené à des évolutions convergentes ou divergentes des parlers arabes actuels définis par Kallas (1999) comme des formes ‘néo-arabes’. Dans tout le Proche-Orient asiatique, les parlers arabes anciens se sont heurtés à des langues ou à des dialectes sémitiques (Poliak, 1938) ; en Egypte, et dans les régions de l’Afrique septentrionale, les parlers arabes se sont trouvés en contact avec d’autres langues afroasiatiques, comme le copte et le berbère. Cette situation a mené à des résultats linguistiques différents, chacun des dialectes national ayant évolué à sa manière au contact de ces diverses influences.

Actuellement, les principales différences entre l’arabe classique et l’arabe dialectal résident, du seul point de vue phonétique, dans un traitement différencié des fricatives interdentales / message URL theta.gif ;  message URL delta.gif ; message URL delta.gif message URL exposant.gif/ et de la consonne uvulaire /q/ ; par un traitement différencié et/ou la chute des voyelles brèves en syllabes ouvertes, et l’amuïssement des voyelles brèves internes même en syllabes accentuées (Ghazali, 1979) ; par l’évolution des diphtongues vers des segments ‘simples’ (i.e. voyelles périphériques longues) et par des schémas prosodiques (accentuels et rythmiques) propres. Ils n’en constituent pas pour autant des systèmes simplifiés de la norme, mais autant de systèmes complexes issus de l’évolution de la langue dont les caractéristiques peuvent s’expliquer par l’influence des divers substrats (D. Cohen, 1965).

Le regard porté par les populations sur le dialectes a lui aussi contribué à élargir le fossé idéologique existant entre formes standardisées et variétés dialectales. L’approche, qui a longtemps prévalu au sein des écoles ‘traditionalistes’, a permis à bon nombre d’arabisants de soutenir l’hypothèse selon laquelle le dialecte est une sorte de ’maladie du langage’. Pour des raisons théologiques liant langue standard et parole divine, le monde arabe musulman considère les variétés dialectales comme de l’arabe corrompu, sorte de désagrégation de ’La Langue’. Ainsi, Duwwarah (1965), cité par Haeri (1996), écrit :

‘’The colloquial is one of the diseases from which the people are suffering and of which they are bound to rid themselves as they progress. I consider the colloquial one of the failings of our societies, exactly like ignorance, poverty and disease(Duwwarah (1965:286) in Haeri (1996), nous soulignons).

Autant de considérations qui soulignent, de manière négative certes, l’originalité de la situation linguistique arabe. Dans un article d’une clarté remarquable, Khoulougli (1996) répertorie les différentes approches qui ont été utilisées pour rendre compte de la diversité linguistique arabe et la section suivante s’inspire largement ce pour présenter la manière dont l’hétérogénéité linguistique arabe a été appréhendée chez différents auteurs.