1.3.2. Distinction sociolinguistique

‘’La dualité sociologique du Monde Arabe a naturellement son reflet dans la langue : il y a des parlers de sédentaires et des parlers de nomades. Une des questions capitale qui se pose pour le dialectologue est d’établir une discrimination entre ces deux types de parlers et de définir les faits de phonétique, de morphologie, de syntaxe et de vocabulaire qui les opposent’ (Cantineau, 1938:80).’

La classification des parlers arabes en termes sociolinguistiques est fondée sur un facteur historique. Ce critère permet d’observer sur l’ensemble du domaine arabe, la coexistence de parlers de sédentaires et de parlers de nomades (i.e. de bédouins) que certaines caractéristiques typologiques permettent de distinguer.

La période d’islamisation qui débute à la mort du prophète, en 632 de l’ère chrétienne constitue un évènement historique majeur sur l’évolution de la langue arabe. En effet, en l’espace de quelques décennies seulement, les conquérants musulmans, locuteurs arabophones, se sont installés sur un immense territoire et ont imposé leur croyance ainsi que leur langue aux populations locales. Ces dernières ont peu à peu — et sans grandes réticences, excepté pour les berbères — adopté la langue arabe comme unique moyen de communication, de culte et de culture.

Sur le domaine moyen-oriental l’arabe s’est peu à peu substitué à un certain nombre de langues déjà présente, comme l’araméen et le persan (en Irak), le syriac (en Syrie) et le copte (en Egypte). Le rôle attribué à ces langues s’est progressivement restreint pour ne subsister qu’au sein de groupements humains isolés et minoritaires (par exemple, les quelques 300.000 locuteurs de néo-syriac actuels, disséminés en Iran, en Turquie et en Irak, et partageant comme trait commun, outre la langue, la religion chrétienne).

L’expansion de la langue arabe hors de la péninsule arabique et au-delà des frontières moyen-orientales (i.e. au Maghreb, en Espagne et en Europe) s’est déroulée en deux phases distinctes. Rappelons que la première a commencé avec les incursions musulmanes de la fin du 7e siècle, et qu’elles ont eu, du point de vue linguistique, des conséquences considérables concernant essentiellement les centres urbains, puisque c’est à cette première période que l’on attribue le développement de l’arabe parlé dans les villes et les zones montagnardes qui leur sont contiguës.

L’introduction de la langue et de la culture arabes sur les nouveaux territoires conquis a donc débuté au sein des cités nouvelles ’créées’ par et pour l’installation de garnisons militaires. Aux alentours, et durant cette première période, les populations indigènes, rurales et nomades, ne parlaient que leur langue d’origine.

A l’intérieur de ces centres culturels et commerciaux, l’arabe devint tout naturellement la langue de communication. Les parlers arabes qui se sont ’constitués’ à cette époque, sont regroupés sous le terme générique de ‘parlers de sédentaires’. On peut ‘ranger’ dans cette catégorie les parlers villageois (ou montagnards) et les parlers citadins eux-mêmes. Un trait commun à l’ensemble de ces parlers résident dans le caractère ’innovant’. Certains linguistes, comme D. Cohen, explique ce phénomène par la ’substratal influence’ et par les mélanges linguistiques résultant des échanges commerciaux entre populations sédentaires et nomades. En tout état de cause, il est vrai que les parlers des villes et de leurs proches alentours attestent de nombreuses innovations vis à vis de l’arabe classique, et ce dans tous les domaines de la langue.