L’arabisation de la zone syro-libanaise a eu lieu lors des premières invasions musulmanes (7e / 8e siècle) et a sans doute été facilitée par la présence, dans le désert syrien, de tribus arabophones. Certaines de ces tribus, s’étant sédentarisées dans des centres urbains comme Damas ou Alep, avaient déjà adopté un parler, si ce n’est purement citadin, tout au moins de type ’innovateur’ (Versteegh, 1997). Les parlers de cette zone, qui comprend l’ensemble des parlers de sédentaires de Syrie16, du Liban, de Jordanie et de Palestine, sont relativement bien connus et ont donné lieu à un grand nombre d’études dialectologiques (Bergsträsser, 1915 ; Feghali, 1919 et 1928 ; Cantineau, 1936, 1937 et 1938 ; El-Hajje, 1954 ; Grottzfeld, 1967, 1978 et 1980 ; Fleish, 1962-1963-1964, 1974a, 1974b, 1974c; Bettini, 1994 (sur les parlers de nomades) ; Lentin, 1994 et 1995/96 (sur les parlers de sédentaires).
oran, de Palmyre, de la grande plaine syrienne située au Nord de Tripoli, ainsi que des parlers purement citadins (Damas, Beyrouth, Saida et Jérusalem) et campagnards / montagnards parlés au Nord du Liban (i.e. région de la Beka). L’ensemble de ces parlers connaissent une réalisation glottale de l’occlusive classique /q/ et ne présentent pas de fricatives interdentales (à l’exception toutefois du parler des Druz dont le conservatisme linguistique est attribué dans la littérature à la situation religieuse particulière de ce groupement qui le maintient séparé des populations qui l’entourent et de leur parler de type innovateur (Blanc, 1953).
] et /k/ > [t
].Toutefois, on remarque actuellement et sur l’ensemble du territoire un net recul des parlers ruraux au profit des dialectes prestigieux des grandes villes comme ceux de Damas, Alep et/ou Beyrouth dont les usages linguistiques débordent largement des frontières régionales. Ce processus n’est pas achevé, il contribue en réalité à l’uniformisation des parlers de sédentaires de cette région généralement regroupés sous l’appellation de ’parlers levantins’ ou du ’Bilad-el-Sham’ (Lentin, 1994 et 1995-96) et que la dialectologie traditionnelle parvient à subdiviser en trois sous-groupes :
] dont la fréquence d’occurrence est toutefois relativement rare (e.g. [
arf] « outre » vs. [z
arf] ’enveloppe’ ; [fad
d
] « il a rincé » vs. [faz
z
] « grossier, acariâtre »). Ce phonème représente soit la fricative interdentale pharyngalisée (dans certains mots empruntés au vocabulaire bédouin seulement), soit l’ancien phonème latéral /
/ dans les emprunts à l’arabe classique (souvent par l’intermédiaire du Turc) soit encore la variante pharyngalisée (en contexte postérieur) de la fricative [z].
]) et un schéma de propagation de l’emphase perçu, par l’auteur, comme étant assez étendu mais qui n’a pas encore fait l’objet d’études expérimentales à ce jour.
] étant représenté par [z] ou [d] ; [
] par [d
] ou [z
] et [
] par [t] ou [s]). Du point de vue diachronique, l’ancienne latérale de l’arabe ancien /
/ est passée à [d
]. Ainsi, dans ce parler on a : /
/ > [d
] et /
/ > [
] et/ou [z
] cette dernière variante constituant un phonème nouveau purement dialectal (i.e. innovation) résultant de l’intégration des emprunts classiques dans le système phonologique du dialecte. Ce phonème [z
] pour [
] n’existe qu’au Moyen-Orient - et particulièrement en Syrie et au Liban - région qui a pendant longtemps appartenu à l’Empire Ottoman. Les Turcs, n’ayant pas d’interdentales dans leur système linguistique, auraient transféré [
] à [z
] dans leurs usages ; les autochtones auraient ainsi rempruntés aux Turcs leur propre vocabulaire en conservant la prononciation turque.
] à [z
] (e.g. [z
abt] du turc ’feuille d’audience’ vs. [d
abtu] ’consolidation’). Naïm-Sambar (1986) souligne par ailleurs que sur les quelque 100 mots comportant le phonème [z
], seuls 5 renvoient à un mot d’étymologie arabe. En ce sens, il est aussi possible de parler d’emprunts à l’arabe classique pour certains items n’appartenant pas au vocabulaire quotidien et devant être prononcés correctement (i.e. avec une prononciation classique). La réalisation [z
] attestée dans ces mots s’explique selon l’auteur par ’l’incapacité à produire des fricatives interdentales’ et correspond ’au désir de provoquer chez l’interlocuteur un certain impact psychologique lié à l’emploi d’un mot savant’ (Naïm-Sambar, 1986:100-101). Ainsi les termes [z
ann] ’il a pensé’ et [z
ll] ’ombre’ possèdent des synonymes ’dialectaux’ moins connotés littérairement, soient respectivement [fakkar] et [fayy] qui seront utilisés en fonction de l’impact psychologique recherché. L’analyse du système phonologique du parler de Beyrouth montre par ailleurs que les fricatives interdentales sont passées à des occlusives et/ou des sifflantes ; ce trait devant être selon D. Cohen (cité par Naïm-Sambar, 1986:101) ’un phénomène sporadique lié à un certain nombre de facteurs dont l’emprunt déformé à l’arabe classique ou le remprunt par l’intermédiaire d’étrangers’.
; d
; s
; z
]. Cantineau & Halbaoui (1953) relèvent en effet quelques paires opposant /z/ à /z
/ (e.g. [bu:z] ’museau’ vs. [bu:z
] ’glace’). Ils tendent par ailleurs à considérer les paires /l/ vs. /l
/et /r/ vs. /r
/ comme potentiellement productives (ils ne proposent cependant aucun exemple d’opposition phonémique). Comme dans la plupart des parlers de sédentaires de cette région on trouve de manière générale une prononciation glottale [
] pour /q/ et une réalisation sonore en [g] dans les emprunts aux langues étrangères et/ou aux parlers de bédouins. On remarque aussi l’absence des fricatives interdentales remplacées par [t
; d
; z
]. Une étude phonétique de l’ensemble des consonnes de ce parler a été effectuée par Irikoussi (1981) qui a caractérisé chacune d’elle au niveau acoustique.
oboz/ ’pain’, réalisé à Damas [
oboz]) et des voyelles de longueur moyenne, correspondant à des longues non accentuées et abrégées et/ou à des courtes accentuées et allongées et/ou à des semi-voyelles en position vocalique.
0
]) et/ou glottale (i.e. [
]). Le système vocalique du parler d’Alep doit donc, selon les auteurs, être considéré - du point de vue phonétique - en fonction de la nature du contexte consonantique.
oran dont une classification détaillée a été produite par Palva (1984).
] surtout devant la voyelle d’avant /i/ ; le passage de /d
/ à [z
] et la réalisation [k] pour /q/ sauf si la voyelle qui suit est précédée de /t
/, /s
/ et/ou /z
/ (e.g. [kalb] « coeur » mais [qata
a] « couper ») ; les anciennes diphtongues classiques /aw/ et /aj/ > [o:] et [e:] sauf en position finale et devant /w/ et /j/ respectivement. Les voyelles longues sont abrégées si elles sont en position non-accentuée ou si elles se trouvent dans une syllabe accentuée surlourde (i.e. de type CVVCC) ; les voyelles brèves /i u a/ chutent si elles sont en position pré-accentuée (i.e. parler non-différentiels). De manière générale, l’opposition, en Syrie, entre les parlers du Nord et ceux du Centre, se base sur différents critères phonético-phonologiques comme : l’imala. Ainsi, les parlers syriens du Nord (comme celui d’Alep) se distinguent du parler de Damas par le passage systématique de /a/ à [e]. L’ensemble des parlers de sédentaires de ce domaine peuvent à leur tour être distingués de nombreux parlers de nomades (parlers de bédouins sédentarisés ou de sédentaires bédouinisés) aux caractéristiques phonétiques propres. Bettini (1994) propose ainsi d’opposer quatre groupes dialectaux, soient : (1) les parlers de Syrie méridionale (caractérisés par une affrication conditionnée de /k/ et /g/), (2) les parlers de Syrie moyenne (où l’on rencontre sous l’influence des parlers de sédentaires considérés comme plus prestigieux une réalisation sourde pour « qaf »), (3) les parlers des ’bergers nomades’ de Syrie occidentale (à l’Est de la route Damas-Alep), (4) les parlers du Nord-Est Syrien (correspondant à la région de la Jéziré repeuplée tout récemment par des tribus semi-nomades poussées à la sédentarisation) où l’on trouve de nombreux traits communs avec les parlers de la Péninsule Arabique.
Les parlers de nomades de cette région appartenant au groupe des parlers de la Péninsule Arabique que Palva (1991) propose de rassembler sous le terme ’North-West Arabian’.
La distinction entre parlers différentiels vs. non différentiels concerne essentiellement les parlers du Moyen-Orient. Cette distinction fait référence au traitement des voyelles brèves en syllabes ouvertes. Dans ce cadre, les parlers différentiels sont ceux qui traitent différemment les trois voyelles brèves [i ; u ; a]. En général, dans ces parlers, les voyelles fermées [i] et [u] chutent là où la voyelle ouverte [a] se maintient et peut éventuellement passer à [i]. De la même manière, un parler sera aussi différentiel s’il maintient [a] et [i] là où [u] chute. En revanche, on ne connaît pas de parler où [i] et [u] se maintiendraient alors que [a] chuterait. Par opposition, les parlers non-différentiels appliquent aux trois voyelles du système les mêmes règles de chute (ou de maintien) indépendamment du timbre des voyelles concernées (Cantineau , 1938 ; Fleish, 1974 ).
]) vs. parlers connaissant une imala interne moyenne mais pas d’imala finale (i.e. (i.e. [-a#] = [-a#]) comme au Maroc ou en Algérie (voir Barkat & al., 1997). Selon Kaye (1997) : ’Imala (lit. inclination) refers to /
a
-/raising, often due to the umlauting influence of /
i
/. A classical word such as /
iba:d
/ ’slaves’ could have a dialectal pronunciation [
ibe:d
] or [
ibi:d
]. Imala has
produced the very distintive high vowel pronunciation of /
a
/ in many Syro-Lebanese dialects
, i.e. [
be:b
] ou [
bi:b
], equivalent to classical arabic /
ba:b
/ ’door and [
b
:b
] as uttered, say, by a Cairene’. (Kaye, A.S, 1997:198)