1.3.3.3. Les dialectes Mésopotamiens

Bien que dans cette zone, nous ne disposions que de peu d’informations historiques précises concernant les mouvements de populations nous savons que l’arabisation a eu lieu dans cette zone en deux étapes (Blanc, 1964). Aux premiers temps des conquêtes arabes, des variétés dialectales de type sédentaires et citadines se sont développées dans les centres de garnisons fondés par les envahisseurs à BaÒra et KÙfa. Plus tard, les dialectes bédouins des tribus nomades ayant émigré de la Péninsule Arabique vers la Mésopotamie, se sont superposés aux parlers de sédentaires ’importés’ lors de la première phase d’arabisation. Blanc (1964) montre dans son étude sur les parlers arabes de Baghdad, que les parlers mésopotamiens peuvent être regroupés à l’intérieur d’une seule et même zone dialectale (en Irak et en Turquie) et que les distinctions internes à ce groupe correspondent à des croyances religieuses différentes. Il distingue ainsi, à Baghdad, trois groupes de parlers : les parlers juifs et chrétiens d’une part, regroupés sous l’appellation de ’qeltu dialects’19 sur la base de leur traitement de la forme classique [qultu] ’j’ai dit’, et correspondant à une phase d’arabisation antérieure à celle qui a mené à l’apparition des parlers musulmans (i.e. ’gilit dialects’) dans cette même zone. Ce critère de distinction est valable sur l’ensemble du territoire mésopotamien et permet une classification dialectale précise des parlers d’Anatolie et de Mésopotamie. De ce fait, la plupart des études dialectologiques touchant à cette zone s’appuient sur ce critère pour établir leurs regroupements linguistiques. Jastrow (1990), par exemple, reprend à son compte l’hypothèse avancée par Blanc (1964) selon laquelle les ’ qeltu dialects20 sont, dans l’aire mésopotamienne, une survivance de la strate arabe la plus ancienne (datant du Moyen-Age) alors que les gilit dialects’ - d’origine bédouine - ne sont pas autochtones dans cette zone.

Du point de vue consonantique, les premiers se caractérisent par la conservation de la prononciation classique de ’qaf’ (i.e.  q eltu  dialects’) ; par l’affrication de la fricative postalvéolaire / message URL z.gif/ > [d message URL z.gif] et par la présence de phonèmes additionnels de type [p ; g ; t message URL integrale.gif]. Dans certains parlers (particulièrement dans la branche ’Tigris’), on note le passage de /r/ à [ message URL Y.gif]. Les fricatives interdentales sont conservées dans bon nombre de parlers (au même titre que dans les parlers ’gilit’) sauf au Kurdistan irakien et dans les branches anatolienne et Tigris où l’on atteste, selon les parlers, le passage aux occlusives [t ; d ; d message URL exposant.gif] (groupes Nusaybin, Qāmešli et Diyarbakir) et/ou aux sibilantes [s ; z ; z message URL exposant.gif] (groupes Āz message URL eenvers.gifx, Daragözu, Sason et B message URL eenvers.gifhzan) et/ou, fait plus rare, aux labiodentales [f ; v ; v message URL exposant.gif] (groupes Siirt).
Au niveau vocalique, l’ensemble des parlers mésopotamiens (à l’exception de Der-iz-Zôr) appliquent un traitement différentiel aux voyelles brèves en syllabes ouvertes, ainsi /i/ et /u/ > [ message URL e.gif] et /a/ est maintenu ; les voyelles longues sont au nombre de cinq [i: u: a: o:  e:] et le phénomène d’imala (fortis) y est largement attesté (i.e. /a/ > [i]).
Notes
19.

Les ’qeltu dialects’ sont parlés par les populations sédentaires du Haut-Irak et par les populations non-musulmanes du Bas-Irak. En dehors de l’Irak on les retrouve dans beaucoup de villes et villages du Sud-est anatolien, dans des villages situés sur les rives de l’Euphrate (comme Der iz-Zôr) et dans le Sud-Est syrien. Les ’gilit dialects’, sont le fait de l’ensemble de la population sédentaire musulmane du Bas-Irak (Baghdad compris) ; d’une partie de la population sédentaire du Haut-Irak et par tous les bédouins du Haut et du Bas Irak. Selon Levin (1993), les ’gilit dialects’ des musulmans urbains du Bas-Irak sont sans nul doute des dialectes ’bédouinisés’ (résultant des invasions bédouines du 17e et 18e siècle).

20.

A l’intérieur du groupe ’qeltu’, Jastrow (1990) distingue 4 ’branches’ dialectales : la branche ’Anatolienne’ (Turquie) ; la branche ’Kurdistan’ (Irak) ; la branche ’Tigris’ (Irak) et la branche ’Euphrate’ (située entre la Syrie et l’Irak), chacune de ces branches étant elle-même constituée de plusieurs sous-groupes dialectaux).