La région occidentale du domaine arabophone constitue une zone linguistique complexe. Cette complexité est essentiellement due aux processus d’arabisation qui, dans toutes les régions du Maghreb, s’est déroulée en deux phases bien distinctes interrompues par une période de plusieurs siècles, et ayant conduit à l’appropriation de la langue arabe par des populations autochtones d’origine berbérophone.
Lors des premières invasions de l’Afrique du Nord (i.e. seconde moitié du 7e siècle), les garnisons arabes se sont, de manière générale, installées dans les centres urbains déjà existants. Ceci a contribué au développement de formes vernaculaires de type ’sédentaire’, dont les parlers arabes des Juifs du Maghreb constituent de bons exemples (M. Cohen, 1912). Au cours de cette première période, seules les zones urbaines furent arabisées, les zones rurales, à grande majorité berbérophone, ne l’étant qu’au cours de la seconde période d’invasions au 10e et 11e siècle de l’ère chrétienne.
Lors de cette seconde phase d’arabisation, le domaine arabe s’étend sur une grande partie du territoire, et touche aussi bien les populations sédentaires rurales que les groupements humains nomades du Désert. Les formes linguistiques alors développées sont de type ’nomades’. La littérature fait référence à ces deux périodes d’arabisation, ayant mené à l’émergence de deux types de parlers différents (i.e. parlers de sédentaires vs parlers de bédouins), en désignant les parlers de la première période comme ’pré-hilaliens’ et ceux de la seconde comme ’hilaliens’23.
Tous les parlers ’pré-hilaliens’ sont des dialectes de sédentaires. Ils sont parlés dans les villes du Maghreb et dans certaines zones périphériques proches de celles-ci qui ont connues une arabisation ’précoce’ (i.e. 7e siècle). Sur ce domaine, on trouve selon Cantineau (1937) trois types de parlers : celui des sédentaires, celui des nomades ’A’ (aujourd’hui saturés d’apports sédentaires et ne présentant que peu (voire plus) de différences avec les représentants du premier groupe) et celui des nomades ’E’ de Tunisie (cf. parler d’El-Hâmma de Gabès) De manière plus précise, on distingue généralement :
]) pour les anciens phonèmes classiques /
;
;
/. En revanche, ceux de Benghazi, Tobruk, Kufra et Sorman les ont conservées. Entre ces deux zones, à Zawia, on trouve une zone intermédiaire où le traitement des fricatives interdentales est fluctuant.
;
;
] remplacées par les occlusives correspondantes, on atteste de manière générale, et à l’exception de quelques emprunts à l’arabe classique, une prononciation sonore du ’qaf’. Contrairement aux parlers de l’Est algérien, tous les parlers libyens connaissent une forte imala touchant les /-a:#/ en position finale accentuée (i.e. /-a:#/ > [-e:#]) alors que toutes les autres voyelles ouvertes situées en position finale non-accentuée (comme dans les suffixes /-ha:/ et/ou /-na:/) sont sujettes à une imala moyenne (i.e. /-a:#/ > [-
:#]).La Tunisie
Nous devons les premières études dialectologiques menées en Tunisie à W. Marçais (1925). Ses ’Textes Arabes de Takrôuna’ constituent le premier document d’arabe tunisien rural et ont permis l’introduction de la notion de ’parler villageois’24 pour tout le domaine Nord-Africain. En Tunisie toujours, les travaux de D. Cohen (1964, 1970 et 1975) ont permis de mettre en valeur les traits caractéristiques des parlers de deux communautés tunisiennes d’obédience religieuse différente (i.e. parlers des juifs vs. parler des musulmans de Tunis).
Le même type d’analyse contrastive a été effectué par Saada (1963-66) sur le parler arabe de l’île de Djerba qui abrite la plus grosse communauté juive du pays : il en ressort que dans tous les parlers juifs (à l’exception de ceux de Baghdad et d’Arabie), les fricatives interdentales ont disparu alors que dans les parlers musulmans elles sont, de manière générale, toujours maintenues, la seule exception à cette règle concerne la ville de Mahdia, qui, comme la plupart des parlers des villes tunisiennes a donné lieu à des études linguistiques : (Attia, (1969) sur le parler de Mahdia ; Baccouche, (1969) sur celui de Jammal ; Boris, (1951) sur les parlers du Sud tunisien (région de Nefzaoua) ; Cohen, (1970) compare les deux parlers arabes de Tunis (juif et musulman) ; Saada, (1981) étudie le parler de Tozeur et Talmoudi, (1980) propose une analyse du parler de Souss.
] [th] et /k/ > [kj] [t
] [ç]). A Constantine même, Aït-Ouméziane (1980-1981) souligne la valeur phonologique du segment /z
/ qui s’oppose dans plusieurs paires à /z/ (e.g. [z
bla] ’bouse’ vs [z
abla] ’gaffe, bévue’ ; [
azz] ’il s’est moqué’ vs [
az
z
] ’mousse’).
] et altération du /l/ > [j]), et au niveau morphophonologique l’emploi du préfixe berbère /-d/ en tête du prédicat d’une phrase nominale. De la même manière, ce parler n’atteste pas d’interdentales - inexistantes en berbère – où elles sont passées aux occlusives correspondantes. Notons toutefois que l’affriquée [ts] représente à la fois /
/ et /t/, sauf dans les vocables empruntés (au classique et/ou aux langues étrangères) où les locuteurs préfèrent la variante conditionnée [t].
d] ’un’ combiné avec l’article défini [al] ’le/la’, soit par exemple [wa:
d-d
rri]25 ’un enfant’ (dialecte marocain).
/ ne sont pas attestées.A Tlemcen, (groupe S1’), on retrouve la prononciation glottale du « qaf », qui bien que fréquente dans les parlers moyen-orientaux, n’existe plus au Maghreb qu’à Tlemcen (en Algérie) et à Fès (au Maroc) chez certains locuteurs âgés ou dans le parlers des juifs et des femmes, ces locuteurs présentent aussi une réalisation affriquée de la dentale /t/ > [ts] (Marçais, 1902).
]; /k/ > [k
] ; [t
] ou [ç]). En réalité ces parlers sont des parlers de citadins fortement influencés par les parlers de nomades environnants qui eux, appartiennent au groupe des parlers ’hilaliens’ et peuvent à leur tour être subdivisés en quatre sous-groupes sur la base de critères géo-historiques. On distingue ainsi :Les parlers ’hilaliens’ des ’Sulaym’ de l’Est : avec parlers du Sud Tunisien et du désert libyen (non encore décrits).
Le parler d’El-Hâmma de Gabès constitue un exemple prototypique de ce groupe. Il est parlé dans un milieu sédentaire extrêmement bédouinisé et présente outre des caractéristiques typiquement bédouines (maintien des interdentales et prononciation sonore du ’qaf’) certains archaïsmes intéressants comme, par exemple, la conservation de la voix passive des verbes (W. Marçais & Farès, 1931, 1932 et 1933).
Les parlers ’hilaliens’ de l’Est : regroupant les dialectes du Centre tunisien et de l’Est algérien.
D’après Cantineau (1938), ces parlers ont aujourd’hui disparu ’vidés de leur substance originale’ par les apports constants des parlers de sédentaires environnants comme ceux de Constantine, Djijelli, et Dellys.
], le maintien des anciennes diphtongues classiques et l’imala du /a:/ en position finale. Ce type de parler est étendu sur un domaine considérable, c’est en fait l’unique forme dialectale employée sur tout le territoire saharien. Les seules exceptions étaient, à l’époque, les parlers des Oasis, notamment celles de Tolga, Biskra, Sidi-Okba, Mghaïer, Jama et Touggourt, qui présentaient bien plus de points communs avec les parlers du Sud tunisiens (comme celui d’El-Hâmma de Gabès).
qil’ : regroupant les parlers de l’Ouest du Maroc, de l’Algérie, ainsi que le dialecte arabe de Mauritanie.
f
z
l
r
] et les phonèmes /
/ et /
/ ne connaissent pas d’affrication. Il y a cinq segments vocaliques : trois longs [a: i: u:] et deux brefs [u
].
/ ne présente pas de traces d’affrication, et du point de vue morphologique, le futur est exprimé par le biais de l’auxillaire marocain /
a:di/. Ces parlers bédouins sont en usage aussi bien dans les zones rurales que dans les grandes villes de ces régions (comme entre autres Casablanca) celles-ci ayant subi l’influence linguistique des bédouins qui s’y sont sédentarisés récemment (Cantineau, 1960).En résumé, la répartition des parlers de sédentaires et de bédouins au Maghreb est un fait linguistique complexe. En Libye, a forte majorité, ’bédouine’, la plupart des parlers de sédentaires attestent des traits considérés comme [+ bédouin].
La Tunisie peut -être considérée comme une zone de transition, dont les dialectes de nomades sont proches des parlers libyens.
En Algérie, comme nous l’avons vu, la situation est hétérogène à l’intérieur d’une même région. A Constantine par exemple, des dialectes de sédentaires et de bédouins se côtoient, et certains parlers présentent à la fois des traits similaires aux parlers tunisiens et au parler ’algérois’ situé plus à l’Ouest, dont les caractéristiques linguistiques tendent à le classer parmi les parlers de bédouin (Cantineau, 1937 ; Boucherit, 1985-86).
assaniya est de type ’nomade’ (D. Cohen, 1963 ; Taine-Cheikh, 1990). Durant la période de domination Musulmane, le parler arabe parlé en Espagne (i.e. désigné sous le terme ’Al-Andalous’) était de type maghrébin, il en est de même pour le dialecte arabe de l’île de Malte, dont l’arabisation s’est effectuée depuis la Tunisie entre le 8e et le 9e siècle (D. Cohen, 1963 ; Puech, 1979).
kt
b] « j’écris » et [nk
tbu] ou [n
ktbu] « nous écrivons ». En revanche, les parlers orientaux opposent la forme [
ktob] « j’écris » à [n
ktob] « nous écrivons ». L’isoglosse basée sur ce trait permet le regroupement des parlers du Maghreb. Du nom d’une des tribus nomades de la seconde période d’invasions musulmanes les Bani Hilal.
’Dans les différentes régions du littoral on rencontre des collectivités paysannes, habitant des villages, dont les parlers - sans conïncider avec ceux des vieux centres de culture urbaine - s’en rapprochent par la grammaire, le consonantisme et le fond du lexique, et s’opposent d’autre part à l’arabe des nomades ou anciens nomades sédentarisés qui les entourent. Ces parlers représenteraient la première expansion de l’arabe autour des centres urbains conquis dès la première vague d’expansion de l’Islam.’ (W. Marçais, 1925:23).
d-d
rri] < [wa:
d-
l-d
rri], la gémination de la consonne coronale [d] résulte de l’assimilation de la liquide [l]. Les consonnes [n l t
d
s
Σ s z r
d
t], dites ’lettres solaires’ assimilent le [l] de l’article défini [al]. Ainsi, lorsqu’un mot précédé de l’article défini commence par l’une de ces lettres, elle est ’redoublée’ (i.e. géminée) tandis que le [l] qui précède ne se prononce plus.Aujourd’hui, les populations ’jeunes’ tendent, à l’Ouest, à adopter le parler oranais, qui constitue actuellement dans cette région, la variété vernaculaire commune. Seuls les locuteurs âgés continuent de s’exprimer en dialecte tlemcénéen.