1.4. Conclusion

A l’issue de ce premier chapitre de présentation du domaine linguistique arabe, nous sommes en mesure d’observer que la distribution géographique des parlers arabes permet d’opposer les parlers occidentaux du Maghreb des parlers Orientaux tels qu’ils sont en usage au Proche-Orient. Cette opposition géographique transparaît, au niveau linguistique, par la présence et/ou l’absence de différents critères discriminants que nous tâcherons de déterminer et d’expliciter dans les chapitres suivants.

Néanmoins, il convient de souligner d’ores et déjà, que tous les dialectes maghrébins (à l’exception peut-être des parlers de sédentaires de l’Est de la zone) attestent un système vocalique bref binaire constitué des voyelles [ message URL e.gif] et [u], les voyelles [a] et [i] ayant convergé vers un vocoïde central neutre de type [ message URL e.gif]. Dans certains parlers, comme celui de Cherchell en Algérie, le système vocalique s’est simplifié au point qu’il ne subsiste plus qu’une seule voyelle brève, au timbre unique (Grand-Henry ; 1972).

L’analyse de la distribution vocalique dans les différents parlers arabes permet, en effet, d’observer que de manière générale, ’le vocalisme bref se réduit de façon croissante d’Est en Ouest’ (Ph. Marçais, 1977) jusqu’à devenir — dans certains parlers — de simples points vocaliques ultra-brefs (les parlers marocains, situés à l’extrême ouest du domaine présentant le plus fort degré de réduction vocalique (Benikrane, 1998). De ce fait la structure syllabique des parlers maghrébins a elle-même été modifiée, conférant au rythme des dialectes occidentaux des caractéristiques particulières (Angoujard, 1993 ; Benikrane, 1981 et 1998). Nous évaluerons au cours de ce travail ces deux critères.

En revanche, les classifications de Rjaibi-Sabhi (1993) et Taine-Cheikh (1998-99), basées sur le traitement des interdentales (i.e. conservation vs disparition) et la réalisation de l’occlusive uvulaire [q] (i.e. sourde vs sonore) nous semblent pertinentes du seul point de vue historico-sociologique. Elles aboutissent en effet à une classification des dialectes arabes en termes historique et sociolinguistique (i.e. parlers de sédentaires ’pré-hilaliens’ vs pa rlers de bédouins ’hilaliens’) que les usages linguistiques actuels semblent contredire en de nombreux points du domaine : ainsi, les parlers de plusieurs villes anciennes du Maghreb, attestent aujourd’hui de nombreux traits d’origine nomade (cf. par exemple, le passage de [q] ou [ message URL alif.gif] à [g] chez les populations jeunes originaires de Tlemcen, dont le dialecte était autrefois caractérisé par une prononciation glottale typique dans cette région). Cette situation peut s’expliquer d’une part par le rôle hégémonique et le caractère plus prestigieux tenu par certains dialectes dans les situations de contact, contact lui-même favorisé par le développement des échanges économiques et humains ; d’autre part, par des traitements différenciés à l’intérieur d’un même système en fonction de l’origine des mots (cf. le cas des emprunts, qui en général, conserve leur forme d’origine) ou de l’appartenance à des groupes sociaux différents (cf. cas des sociolectes ’religieux’).

Les schémas d’évolution et de propagation de ces changements s’effectuant, de manière générale, selon, les principes de la théorie de la diffusion lexicale. Celle-ci pose comme principe de base que le changement phonétique est lexicalement graduel. Les changements commencent à intervenir dans certains items lexicaux uniquement et en l’absence d’environnements phonétiques spécifiques. Ils peuvent être motivés par le contact avec d’autres langues (comme, dans le cas qui nous intéresse le berbère, qui pourrait avoir joué un rôle important dans (1) la disparition des interdentales, (2) la réduction vocalique que connaissent une large part des parlers maghrébins), et dépendent fortement du statut socio-culturel des items d’une part et de l’influence d’autres paramètres (de nature socio-linguistiques) tels que l’âge, le sexe, le niveau-socio-économique des locuteurs.

Ainsi, comme le rappelle Taine-Cheikh (1998-99), la dialectologie est prise entre deux tendances, d’une part celle qui consiste à sélectionner une ou plusieurs caractéristiques linguistiques pour en étudier la dispersion, afin de tracer des isoglosses que l’on compare ensuite ; d’autre part, celle qui consiste à étudier des ’idiolectes’ et à chercher à en évaluer la représentativité pour un groupe, un village, une ville, une région, un pays et, pour ce qui nous concerne, une zone géographique. Lorsque c’est cette seconde approche qui est adoptée, les recherches traditionnelles ne concernent en général, qu’un cadre géographique limité (un village, une ville, au mieux une région). Notre propos, dans ce travail est de dégager les caractéristiques communes à certains des parlers maghrébins (i.e. Maroc, Algérie Tunisie) et moyen-orientaux (i.e. Syrie, Liban, Jordanie). Cette approche globalisante devrait permettre de mettre en valeur certains critères généraux valables dans le cadre d’une tâche de discrimination dialectale globale, c’est à dire par zones géographiques.