Les résultats de l’identification dialectale par zone révèlent que 97 % des stimuli maghrébins et 99 % des stimuli moyen-orientaux ont été identifiés correctement. Les erreurs de classification, soient respectivement 3 % et 1 %, résultent — pour le cas des stimuli maghrébins — du fait de l’emploi, pourtant impropre, par l’une des locutrices originaire de la zone occidentale, d’items morpho-syntaxiques appartenant à l’arabe classique39.
Les parlers moyen-orientaux présentant plus de caractéristiques communes avec l’arabe classique, la perception de certains indices morpho-syntaxiques transcrits en (1) a conduit certains sujets maghrébins à juger ces productions comme plutôt orientales.
:f i
n
t
j:n d
ran
t
jn] « il a vu deux grenouilles »
[Σ
:f |
i
n
-t
j:n |
[d
ran–
t
jn] |
|||
| « voir » accompli 3ème pers. sing. | adjectif numéral – *marque duel | Nom fem. – marque duel | |||
| « Il a vu deux grenouilles » (loc. F.N, parler de Cherchell, Algérie). |
|||||
n
t
jn] « deux » au lieu de la forme invariable [zu:d
] typique des parlers occidentaux constitue, pour la plupart des sujets maghrébins, un premier élément perturbateur pour la catégorisation dialectale. Du point de vue morpho-syntaxique, la présence — inattendue en arabe dialectal — de la marque du « duel » en [-t
jn] sur l’adjectif numéral [i
n
t
j:n] « deux » et sur le mot [d
rana] « grenouille » (i.e. [d
ran
-t
jn] « deux grenouilles) ») a conduit au même type d’interprétation erronée. La forme “duel” est en effet remplacée dans la plupart des dialectes modernes par une marque de pluriel « simple ». Elle conduirait, dans notre exemple, soit à l’adjonction – d’une marque de pluriel en [j] à l’intérieur de l’item lexical, soit [d
ra-j
n] “des grenouilles”, soit à des formes plurielles de type [
ran
:t] (pluriel ordinaire « dénombrable ») et/ou [
ra:n] « des grenouilles » (pluriel collectif, « indénombrable »). Une forme correcte en dialectale maghrébin n’ayant pas donné lieu à mauvaise identification au cours de nos expériences apparaît en (2) :
:f zu:
ran
:t] « il a vu deux grenouilles »
:f zu:
[d
ran-
:t ] « voir » accompli 3ème pers. sing. adjectif numéral nom – marque pluriel « Il a vu deux grenouilles »
(loc. A.B, parler de Oran, Algérie]
q
t
o] « il est tombé ») semble être connoté par nos sujets maghrébins comme [+ oriental]. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il possède un équivalent plus fréquent en arabe dialectal du Maghreb (i.e. [t
] « il est tombé »). Son usage, relevé dans un stimulus maghrébin emprunt d’emphase narrative, a ainsi conduit certains sujets à classifier l’item maghrébin rapporté en (3) parmi le groupe oriental.
qat
o] « et... ils sont tombés »| [o: | s
q
t
o] |
| conjonction de coordination | verbe « tomber accompli» 3ème pers. pluriel |
| « Et.... | Ils sont tombés » |
| (loc. A.H, parler de Toggourt, Algérie] | |
Pour ce qui est des stimuli moyen-orientaux, l’erreur de classification par zone a été provoquée par la perception du phénomène d’imala finale forte (i.e. antériorisation non contextuelle de la voyelle ouverte /a/ > [e]). Celle-ci — bien que rare dans les parlers maghrébins40 — est caractéristique de certains parlers tunisiens comme celui de Bizerte (ville côtière du Nord de la Tunisie) en position finale des items monosyllabiques41 L’imala est en effet définie comme un fait plutôt oriental (Fleish, 1975). Sa perception dans un énoncé très court42 (4) et par un sujet arabophone « naïf » (i.e. n’ayant pas connaissance de cette particularité dialectale) a conduit à une catégorisation incorrecte en termes de zone géographique. On imagine néanmoins, qu’un stimulus plus long comportant ipso facto plus d’indices aurait permis aux sujets de s’appuyer sur d’autres critères avant de prendre leur décision.
f
l me:] « il est tombé dans l’eau » [ t
:
|
f
|
l | me: ] |
| « tomber » accompli 3ème pers. singulier | préposition | article défini | nom |
| « il est tombé | dans | l’ | eau » |
| (loc. A.H. , parler de Bizerte, Tunisie] | |||
Néanmoins, malgré la présence de ces erreurs induites par les emprunts classiques apparaissant dans les énoncés et le caractère bref de certains stimuli, les scores d’identification par zone restent très élevés et semblent confirmer notre idée selon laquelle la bi-partition dialectale du domaine linguistique arabe en termes de zones géographiques (Maghreb vs Moyen-Orient) transparaît à travers des éléments perceptuels identifiables par l’ensemble des locuteurs arabophones originaires de l’une ou l’autre de ces deux régions et constitue, de ce fait, une réalité linguistique indéniable qu’il serait intéressant d’analyser plus en détail du point de vue linguistique afin d’établir la liste des critères (lexicaux, phonético-phonologiques, prosodiques et/ ou rythmiques, etc...) propres à ces deux variantes dialectales.
n
t
j:n) accordé en genre et en nombre avec le nom qu’il qualifie est impropre. La formulation classique attendue serait [Σ
:f
rana-t
jni] “il a vu deux grenouilles” avec les informations de genre et de nombre portées uniquement sur le nom. En revanche, la forme “duel” ayant disparu des dialectes modernes, l’adjonction d’un adjectif numéral antéposé au nom et précisant le type de pluriel (à deux actants) suivi du nom mis au pluriel collectif constitue un mécanisme morpho-syntaxique cohérent (2)
-] en position médiane uniquement et en l’absence de consonnes d’arrière (i.e. pharyngalisées en particulier).Nous remercions Salem Ghazali de nous avoir communiqué cette information.
Il nous a semblé intéressant de conserver certains items très brefs afin d’observer si le paramètre de durée de l’énoncé était un paramètre pertinent pour les résultats de catégorisation.