3.3. Etude acoustique de la distribution vocalique dans différents parlers arabes

Dans cette section, nous nous proposons de procéder à l’analyse acoustique de la dispersion vocalique dans les différents parlers présentés formellement ci-dessus. Nous nous intéressons plus particulièrement — pour chaque parler et pour chacune des deux zones dialectales représentées — à la caractérisation qualitative des segments vocaliques tels qu’ils sont effectivement réalisés en parole spontanée (i.e. non-lue). Ceci nous permettra de caractériser, au niveau acoustique, la distribution des segments vocaliques dans les parlers maghrébins et orientaux ainsi que la réalisation de l’opposition de durée.

Les analyses rapportées ici ont été effectuées à partir d’enregistrements effectués en chambre sourde sur la base d’un même corpus consistant en la traduction spontanée en arabe dialectal d’un texte court (i.e. « La Bise et le Soleil »). Chacune des douze phrases qui le compose ont été transmises oralement aux locuteurs par le biais d’une langue commune (i.e. le français et/ou l’anglais). Pour chaque phrase nous avons acquis trois répétitions par locuteur. Pour les analyses nous avons utilisé à chaque fois la troisième occurrence (correspondant de manière générale à la meilleure répétition). Les raisons qui ont motivé le choix de ce corpus sont multiples. Tout d’abord, il constitue le texte de référence utilisé par l’Association Internationale de Phonétique pour la description phonétique des langues du monde [cf. “The Principles of the International Phonetic Association“ (1949)]. Il permet par ailleurs d’obtenir des échantillons de parole de durée et de forme similaire d’une forme dialectale à l’autre et présente l’avantage — du fait de la longueur relativement courte de ses phrases et du caractère courant du vocabulaire qui les constituent — d’être facilement utilisable dans le cadre de la description des langues à tradition orale (puisqu’il ne requiert pas d’être présenté aux sujets sous forme écrite) et pour un large éventail de langues et de cultures.

Pour ce qui concerne l’analyse acoustique, nous avons procédé manuellement à l’étiquetage par timbre des 1500 segments vocaliques (i.e. monophtongues) présents dans les échantillons de parole à l’aide du logiciel de traitement du signal Ishell© (Laboratoire de Phonologie, Université Libre de Bruxelles). Une analyse LPC a ensuite été effectuée au centre de chacune de ces voyelles, de manière à obtenir les veleurs formantiques associées à leur état stable. Ce choix résulte de la volonté d’effectuer des mesures acoustiques globales. Aussi, bien que conscients que le nombre de syllabes dans le mot, leurs natures, la position de l’accent, l’articulation spécifique des segments vocaliques, la nature du contexte consonantique environnant et le débit d’élocution jouent un rôle important sur la qualité et/ou la quantité vocaliques (Ghazali, 1979 ; Alioua, 1991-92 ; Jomma & Abry, 1988 ; Ghazali & Braham, 1992), nous avons décidé de ne pas tenir compte de ces paramètres variationnels afin d’établir une représentation statistique globale de la distribution vocalique propre à chacun des parlers et de dégager les informations prises en compte implicitement par le modèle de reconnaissance automatique utilisé dans le chapitre 4. Cette méthodologie nous permet, toutes choses égales par ailleurs, de tenter une comparaison de la dispersion vocalique dans différents parlers arabes. Dans les sections suivantes, nous présentons d’une part la distribution dans l’espace acoustique de l’ensemble des voyelles brèves relevées dans notre corpus, d’autre part, la dispersion des voyelles longues. Enfin, nous proposerons pour chaque parler une représentation globale de la distribution vocalique (rassemblant les vocoïdes brefs et longs) permettant la visualisation de l’espace acoustique préférentiel des segments vocaliques de l’arabe dialectal dans leurs réalisations maghrébines et orientales.