Comme le montre la figure 39, les voyelles brèves couvrent, en arabe tunisien, un espace acoustique plus large que celui attesté dans les parlers marocains et algériens. Il semble donc a priori que le phénomène de centralisation des vocoïdes brefs soit moins important sur ce domaine linguistique, ce qui laisse à penser que l’on ne peut pas établir de manière ferme le caractère occidental du dialecte tunisien sur la seule observation de sa distribution vocalique.
F1 | écart-type | F2 | écart-type | |
551 | 42 | 1801 | 62 | |
a | 651 | 27 | 1411 | 94 |
i | 388 | 42 | 1907 | 118 |
u | 423 | 95 | 1269 | 107 |
479 | 64 | 1535 | 80 |
La comparaison des valeurs formantiques moyennes obtenues lors de l’analyse des segments brefs en arabe marocain (tableau 25), algérien (tableau 27) et tunisien (tableau 29) va nous permettre d’étayer cette remarque.
(25) |
(27) |
(29) |
Tableaux 25, 27 et 29 : Valeurs formantiques moyennes (en Hz) des voyelles brèves attestées en arabe marocain (25), algérien (26) et tunisien (29). |
Pour ce qui concerne les voyelles fermées, la voyelle d’avant — dont les valeurs formantiques moyennes sont de F1 = 388 Hz et F2 = 1907 Hz — apparaît comme (1) plus fermée que celle réalisée en arabe marocain et algérien (p = .03 et p = .0001 respectivement) et (2) plus antérieure, c’est à dire sensiblement plus périphérique (p = .002 et p = .04 respectivement). La voyelle d’arrière [u] (F1 = 423 Hz et F2 = 1269 Hz) se distingue de son équivalent en algérien par un degré d’aperture moins important : la voyelle tunisienne apparaît ainsi comme étant plus fermée (p = .01). Au niveau de sa caractérisation sur l’axe avant ~ arrière, on constate une fois de plus, que la réalisation tunisienne, de par une valeur de F2 significativement supérieure à celle correspondant au [u] bref moyen de l’arabe algérien (p = .0001), présente un degré de centralisation moindre. Cette tendance à la conservation d’un contraste vocalique maximal56 (Liljencrants & Lindblom, 1972) occupant les zones périphériques de l’espace vocalique semble, dans les parlers du Maghreb représentés dans cette étude, typique des seuls parlers tunisiens. A priori, ceci nous autorise à penser que les parlers tunisiens se comportent, au niveau du traitement des voyelles brèves, si ce n’est comme des parlers orientaux, tout au moins comme ce que la dialectologie traditionnelle définit comme des parlers transitoires.
Le principe du contraste maximal impose que la distance entre les voyelles d’un système vocalique soit maximale car une dispersion maximale dans l’espace acoustique entraîne une discrimination maximale au niveau perceptif.