3.3.5.2. Les voyelles longues

La dispersion des vocoïdes longs se présente de manière remarquablement claire dans nos données en arabe libanais. La Figure 46 permet de distinguer quatre timbres vocaliques distincts [a: e: i: u:] dont les différentes réalisations sont regroupées à l’intérieur d’ensembles clairement distincts tant sur l’axe d’aperture qu’au niveau de leur degré d’antériorité / postériorité.

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Figure 46 : Distribution des segments vocaliques longs sur l’axe F1/F2 en arabe libanais.

Les valeurs formantiques moyennes relevées pour chacun de ces timbres apparaissent dans le tableau 34.

Tableau 34 : Valeurs formantiques moyennes (en Hz) des vocoïdes longs en arabe libanais
F1 écart-type F2 écart-type
i: 307 21 2281 72
u: 357 39 929 37
e: 509 23 1907 103
a: 697 47 1295 133

Pour chaque timbre court connaissant dans le système un pendant long, nous avons étudié la nature des différences entraînées par l’opposition quantitative. Afin d’observer plus clairement les différences encourues au niveau formantique par les voyelles brèves et leur correspondantes longues, nous représentons ici les valeurs correspondant aux voyelles brèves et longues (tableaux 33 et 34).

(33)
(34)
Tableaux 33 et 34 : Valeurs formantiques moyennes relevées pour les voyelles brèves (33) et longues (34) en arabe libanais

La voyelle [e] dans sa réalisation brève correspond à l’ancienne voyelle /i/ de l’arabe classique et à certaines réalisations de /a/ situé en position finale. [e:], en revanche, représente la variante allophonique préférentielle, rencontrée en contexte neutre, de la voyelle [a:] dont l’apparition est conditionnée par un contexte consonantique [+ postérieur]. Du point de vue statistique, la voyelle brève est significativement plus fermée que son pendant long ([e] : F1 = 467 Hz et [e:] : F1 = 509 Hz) (p = .0003), ce qui va dans le même sens que les faits observés en phonétique générale selon lesquels les voyelles s’ouvrent sous l’effet de l’allongement et se ferment sous l’effet de l’abrègement (Di Cristo, 1981 ; Straka, 1979). Le contraste entre voyelle longue et voyelle brève s’observe, pour [e] et [e:], sur l’axe F2 où l’on obtient pour [e] une valeur de 2086 Hz et de 1906 Hz pour [e:]. La voyelle brève s’avère ainsi significativement plus antérieure que la longue (p = .0001), ce qui signifie que contrairement aux principes stipulés de manière générale en phonétique, c’est dans ce cas le vocoïde bref qui atteint mieux la cible articulatoire propre à ce timbre. Peut-être est il possible d’imputer cette différence (1) au fait que la voyelle longue correspond à une réalisation antériorisée de la voyelle /a/ dont on a vu qu’elle est, en arabe, le seul représentant, dans cette position, sur l’axe antérieur ~ postérieur, ce qui lui permet un degré de polarisation important ; et (2) au fait que [e] correspond, en partie, à l’ancienne voyelle antérieure /i/ intrinsèquement plus antérieur. Pour ce qui est du timbre [+ ouvert], on constate que la voyelle [a:], non-phonémique, s’oppose de manière significative à [a] sur l’axe d’aperture (p = .0002).