3.4.3. Récapitulatif

Les analyses acoustiques menées à partir de parole spontanée en arabe maghrébin et oriental nous ont permis de caractériser, au niveau phonétique et pour chacun des parlers entrant dans le cadre de cette étude, la distribution des voyelles dans l’espace acoustique et d’établir une distinction entre parlers occidentaux privilégiant la génération de voyelles intérieures (i.e. centrales) résultant d’un processus de réduction vocalique et parlers orientaux préférant les positions périphériques.

Nous avons vu que les voyelles brèves se distribuent, à l’Ouest vs à l’Est du domaine, suivant deux schémas de dispersion vocalique distincts : les parlers maghrébins présentent, en effet, une distribution vocalique plus condensée et nettement plus centralisée que celle des parlers orientaux (figure 58).

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Figure 58 : Représentation globale de la dispersion acoustique des voyelles brèves en arabe maghrébin et moyen-oriental

Par ailleurs, nous avons observé que le paramètre de durée vocalique induit, dans tous les parlers, des modifications qualitatives non-négligeables : les voyelles longues sont ainsi plus périphériques que les brèves tant au Maghreb qu’au Moyen-Orient (figures 59 et 60).

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Figure 59 : Représentation de la distribution acoustique des voyelles brèves et longues en arabe maghrébin
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Figure 60 : Représentation de la distribution acoustique des voyelles brèves et longues en arabe oriental

Néanmoins, on retrouve pour les voyelles longues également les deux schémas de dispersion vocalique différenciés définis précédemment : les voyelles longues du Maghreb apparaissent ainsi comme plus centrales en comparaison de celles réalisées en arabe oriental (Figure 61).

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Figure 61 : Représentation globale de la dispersion acoustique des voyelles longues en arabe maghrébin et moyen-oriental
Au niveau typologique, l’étude de la fréquence d’occurrence des voyelles orales effectuée par Vallée (1994) montre que les segments vocaliques les plus fréquents sont les voyelles périphériques, avec par excellence, les voyelles cardinales /i/ /u/ et /a/, présentent dans plus de 90 % des langues du monde, dont l’arabe maghrébin et/ou oriental. Cette caractéristique est à rapprocher de la notion de « dispersion maximale » proposée par Liljencrants & Lindblom (1972) que nous avons évoquée précédemment pour l’analyse de la dispersion vocalique des parlers orientaux. Cette approche consiste à dire que les trois voyelles les plus fréquentes dans les langues du monde et conservées « indemnes » dans les parlers orientaux, sont positionnées aux sommets du triangle vocalique, c’est-à-dire en des positions bien optimales en termes de contraste perceptif. Après /i/ /u/ et /a/, les voyelles périphériques les plus courantes sont /e/ et /o/, soient respectivement la voyelle antérieure non-arrondie et la postérieure arrondie, d’aperture moyenne, que l’on retrouve aussi en arabe oriental. Enfin, comme 44.4% des langues, les dialectes maghrébins et/ou orientaux ont développé au moins une voyelle intérieure, c’est à dire centrale. Selon Hombert (1979) les caractéristiques formantiques de cette voyelle (et de manière générale de toutes les voyelles intérieures, comme [ message URL I.gif] et [ message URL u.gif] dont nous avons constaté la présence au niveau phonétique dans les parlers du Maghreb) font qu’elle(s) se développe(ent) assez rarement dans les langues du fait du manque de seuil perceptif dans les régions des 1500 Hz qui entraîne d’avantage d’erreurs de perception car les sons produits dans ces fréquences sont difficiles à identifier par l’auditeur :
‘« [...] Non peripheral vowels are avoided because one of their component (i.e. F2) is located in a relatively less salient perceptual zone ». (Hombert, 1979).’

Il semble pourtant qu’au niveau phonétique, les parlers du Maghreb favorisent le développement de ce type de segments.

Pour ce qui concerne la caractérisation acoustique des voyelles longues telles qu’elles sont réalisées en arabe dialectal (maghrébin et/ou oriental), nous avons vu que l’ensemble des timbres vocaliques tendent à s’ouvrir de manière significative sous l’effet de la longueur. Les locuteurs n’utilisent pas seulement la durée vocalique pour marquer les différences de sens ; nous avons en effet remarqué que les corrélations de durée étaient souvent associées à des modifications de timbres significatives du point de vue statistique. Il est évident que la durée concomitante qui va de pair avec une modification de timbre additionnelle contribue à améliorer l’intelligibilité et l’identification de ces voyelles.

Dans la partie suivante, nous entendons observer si le trait [+ intérieur] des voyelles — qu’elles soient longues ou brèves — caractéristique des parlers maghrébins est lié à une différence de durée. Clairement, notre hypothèse consiste a priori à imputer les différences qualitatives rencontrées au niveau des voyelles longues de l’arabe maghrébin vs oriental au fait que les voyelles du Maghreb pourraient être plus courtes que les voyelles orientales correspondantes. Afin de vérifier cette hypothèse, nous entendons observer — pour chaque timbre, chaque parler, puis pour chaque zone — la répartition des segments vocaliques en fonction de leur durée relative. A partir de cette observation, nous calculerons la durée vocalique moyenne des segments vocaliques brefs vs longs ce qui nous permettra d’établir le rapport moyen voyelle longue / voyelle brève (i.e. désormais Vl / Vb ) tel qu’il est mis en oeuvre en parole spontanée pour chacune des deux zones dialectales étudiées. Dans un premier temps, nous effectuerons ces mesures à partir des durées observées pour les voyelles explicitement codées brèves ou longues au moment de l’étiquetage. Nous verrons dans un second temps si nous retrouvons les mêmes tendances lorsqu’on ne prend plus en compte de manière explicite la nature (i.e. étymologiquement brève ou longue) des segments vocaliques pour établir la dichotomie entre voyelles courtes et voyelles longues. Il s’agira plus précisément d’observer si la distribution des segments vocaliques en fonction de leur durée relative s’organise selon un schéma bi-modal différencié d’une zone dialectale à l’autre.