3.6.5. L’opposition de durée vocalique en arabe libanais

Comme le montrent le tableau 49 et la Figure 66, en arabe libanais, seuls deux timbres vocaliques continuent de s’opposer par la seule variation de la durée intrinsèque. Il s’agit précisément des oppositions de [e] ~ [e:] et de [a] ~ [a:]. Rappelons que la voyelle mi-fermée d’avant correspond dans ses réalisations brèves aux anciens /i/ de l’arabe classique et constitue, par ailleurs, une variante conditionnée de /a/ (voir section 3.1.2.2.1).

Tableau 49 : Durée moyennes (en ms) des segments vocaliques en arabe libanais
Dialectes libanais Voyelles brèves (en ms) écart-type (Vb) (en ms) Voyelles longues (en ms) écart-type (Vl) (en ms) Rapport VL/VB par timbre Durée des Vb en % de Vl Rapport Vl/Vb moyen
a 59 14 153 32 2.6 39% 2.6
e 59 14 148 32 2.5 40%
i 105 29
65 5
u 173 26
o 52 7
54 12
Durée Moy. 58 145
Ecart-type 5 29
message URL fig66.gif
Figure 66 : Durées moyennes (en ms) des voyelles longues et brèves en arabe libanais
Au niveau statistique, la variable « timbre » ne conduit à aucun écart significatif pour les voyelles brèves. La durée moyenne des segments vocaliques courts est de 58 ms tous timbres confondus. Spécifiquement, la durée de [a] est de 59 ms, celle de [e] est égale à 59 ms. Leurs correspondantes longues mesurent respectivement 153 ms et 148 ms respectivement. Ces mesures conduisent à des rapports VL/VB assez élevés pour ces timbres (R = 2.6 et 2.5), les voyelles brèves ne représentant respectivement que 39 % et 40 % des voyelles longues de mêmes timbres. Pour les autres qualités vocaliques, la durée moyenne des segments brefs est de 65 ms pour [ message URL ae.gif], 52 ms pour la voyelle [o] (correspondant à l’ancien /u/ bref), et 54 ms pour [ message URL e.gif]. Nous ne pouvons calculer de rapport VL/VB moyen pour ces timbres vocaliques du fait de l’absence de correspondants longs équivalents du point de vue qualitatif. Les segments vocaliques attestés dans ce dialecte uniquement comme longs présentent des durées moyennes de 105 ms pour [i:] et 173 ms pour [u:], leur pendant bref se distinguent naturellement par leur durée relative mais aussi et surtout par d’autres caractéristiques qualitatives liées au trait [+ ouvert] : [e] s’opposant ainsi à [i:] et [o] à [u:]. L’observation d’un rapport très élevé pour les deux timbres pour lesquels subsiste une opposition de durée « simple » (c’est à dire non corrélée à un changement de timbre), nous conduit à avancer l’hypothèse selon laquelle le dialecte libanais a peut-être favorisé, au cours de son développement, l’émergence d’une opposition basée sur les caractéristiques qualitatives en réorganisant les oppositions de timbres de manière à ce que la distinction brève/longue soit portée par des timbres spécifiques n’existant, dans le système, que sous une des deux formes (i.e. brève ou longue). Cette situation peut être interprétée comme une tendance à favoriser l’occupation maximale de l’espace F1/F2 au dépend de l’ancienne opposition de quantité.