Université Lumière Lyon 2
Faculté de géographie, histoire, histoire de l’art, tourisme
Formes et usages du passé : Grenoble en ses après-guerre (1944-1964).
sous la direction de M. le Professeur Yves Lequin
27 mai 2000

A ces deux soleils : Dorothée et Solal.

XXe siècle, l’homme fut au plus bas.
René Char, Les compagnons dans le jardin.

L’histoire dût-elle être éternellement indifférente à l’homo faber ou politicus qu’il lui suffirait, pour sa défense, d’être reconnue comme nécessaire au plein épanouissement de l’homo sapiens.
Marc Bloch, Apologie de l’histoire ou Métier d’historien.

Ma thèse est ici que la manière unique dont l’histoire répond aux apories de la phénoménologie du temps consiste dans l’élaboration d’un tiers-temps, le temps proprement historique, qui fait médiation entre le temps vécu et le temps cosmique.
Paul Ricoeur, Temps et Récit, t. 3.

Remerciements

Très nombreux sont celles et ceux qui ont aidé à la réalisation de ce travail, qui, au sens plein du terme, y ont contribué. Que les premiers mots qu’on s’apprête à lire en ouvrant ce volume soient des mots de gratitude est tout bonnement logique car sans le véritable réseau de soutien dont j’ai bénéficié pendant ces années, l’étude qu’on va découvrir n’aurait pu aboutir. Privé de cette première assise, de ce fondement vital, cet essai aurait avorté.

De ces différentes dettes que j’ai contractées, j’ai conscience que je pourrai difficilement m’acquitter. Le plus simple n’est-il pas alors d’opter pour un geste, ou plutôt une formule, symbolique ? Loin d’une solennité affectée mais non sans gravité, il est ainsi un mot que je veux écrire à l’intention de tous et aussi de chacun en particulier : merci.

Merci en tout premier lieu au Professeur Yves Lequin, dont la direction qu’il a exercée sur mon travail rend ses lettres de noblesse à un mot parfois galvaudé. Ses conseils, ses critiques et sa distance objective ont constamment orienté (et réorienté) mon travail en même temps que sa rigueur scientifique et son souci des conditions d’exercice du métier d’historien ne cessaient de l’encadrer. En toute liberté. En toute simplicité aussi.

J’ai profité des avis qu’Henry Rousso a plusieurs fois accepté de formuler à l’endroit de mon projet. Moments importants puisque ces rencontres furent pour moi l’occasion de confronter mon travail au regard de celui qui, à travers ses analyses pionnières, en est à l’origine intellectuelle.

Les entrevues que j’ai eues avec Laurent Douzou ont été l’occasion de passer ma démarche au crible de son exigence épistémologique et de sa sagacité méthodologique : je tiens à le remercier de sa grande disponibilité et de ses encouragements.

A Grenoble, mes professeurs n’ont jamais ménagé ni leur temps ni leurs efforts pour me prodiguer leurs conseils et leur aide. Merci à M. Jean-Pierre Viallet, à qui je saurai éternellement gré d’avoir accepté de « suivre » mes débuts de chercheur ; à M. Pierre Guillen, qui m’a fait profiter de son élégance intellectuelle et de son immense culture ; à M. Daniel Grange, que je remercie parce qu’il sait parfois être sévère ; à M. Henri Morsel avec qui la relation pédagogique que nous avons entretenue s’est transformée en relation d’amitié ; à M. Dominique Poulot, qui m’a si brillamment ouvert, au sortir de khâgne, les portes de l’histoire culturelle (ce fut une révélation) ; à M. Jacques Solé qui cultive avec passion ces deux vertus indispensables au métier d’historien, l’humour et l’intelligence ; à M. Michel Chanal, convivial et critique, amical et méthodique, le plus sourcilleux même sur la méthode.

Un deuxième cercle parmi ces multiples soutiens est composé des professionnels auquel mon travail exigeait que je m’adresse. M. Yves Soulingeas, directeur des Archives Départementales de l’Isère, m’a accueilli avec convivialité et a fait en sorte de faciliter mon travail. M. Vital Chomel, son érudit prédécesseur, et M. Paul Dreyfus, l’historien du Vercors, m’ont quant à eux toujours reçu avec amabilité : leurs remarques furent précieuses. Mme Hélène Viallet et M. Jean-Luc Chomat, conservateurs des Archives Municipales de Grenoble, m’ont ouvert en grand les portes de leur trésor. Toute l’équipe du musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère évidemment, que je connais si bien pour en faire partie depuis cinq ans, et d’abord son documentaliste, Jacques Loiseau, a mobilisé pour moi son dynamisme et son affection. La gentillesse et la prévenance des membres de la salle de recherche de la Bibliothèque d’Études et d’Information de Grenoble ont constamment éclairé mon travail.

J’ai été au point de convergence d’un faisceau d’amitié et d’affection dont la plus remarquable caractéristique fut la constance. Mes parents ont été attentifs au mûrissement de mon projet qui se confondait souvent avec le mien propre. Mes deux grands-mères ont vécu la période dont je sonde la mémoire : nous avons longuement échangé, elles m’ont toujours encouragé. Thérèse, Stanislas et Stéphanie Bednarek ont su écouter avec patience mes développements et parfois mes emportements. Yannick Decompois, mon meilleur ami, m’a prêté l’assistance de sa main sûre et ferme et sans concession pour m’aider à tenir ma route, sans compromis. J’ai, avec Tal Bruttmann, enduré les mêmes affres pendant de longs mois : c’est sûrement à cela que je dois sa chaleureuse proximité. Louise Friez a eu la haute main sur la frappe dactylographique de mon étude : son optimisme et sa culture du sourire m’ont été d’un grand secours. Cyrille Boubkraoui a su trouver les mots et aussi les silences qu’il fallait pour m’accompagner.

Quant à Jeannie Bauvois, Gil Emprin et Roland Lewin, ils sont tous les trois à part. Car c’est en amis et en historiens de métier, en spécialistes des plus compétents qu’ils ont guidé mes pas. Jeannie, sa fougue, sa furia francese intellectuelle et sa rigueur inaltérable ont été un modèle. Gil a su tempérer mes ardeurs et m’a aidé, grâce à cette sûreté et cette tranquillité dans l’analyse que beaucoup lui envient, à reformuler certains de mes questionnements, quelques-unes de mes conclusions. En ce qui concerne Roland Lewin, notre amitié me commande de l’avouer : je le considère comme mon mentor, j’espère pouvoir me revendiquer comme son disciple. En tout cas je continuerai à entendre ses leçons.

Merci à mes amis (et donc à Didier Lloberes et Claire Courtecuisse) d’avoir voulu rester mes amis, malgré mes absences. Gracias también a mis amigos cubanos por la ayuda y el calor humano que me mandaron desde La Habana.

Et puis merci à mes élèves de la Cité Scolaire Internationale Stendhal, que je n’ai pas voulu abandonner pour mener mon enquête, et dont l’énergie toute simple, certain matin gris, m’a fait repartir de plus belle. Merci encore à mes étudiants de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble et parmi eux à Grégory Lespinasse et à Mathieu Bernard-Reymond.

Une personne entre toutes m’a supporté, et c’est à dessein que je joue de l’ambivalence inhérente au mot...

Quelle est la part de Dorothée dans ce travail, si ce n’est la première et la principale, puisque sans elle, c’est certain, il n’existerait pas ?

Je suis heureux d’avoir souscrit une telle dette d’amour. Je suis si heureux d’inaugurer à présent le temps, que j’espère éternel, de son remboursement.

Avant-propos

Les livres me sont un infini plaisir. Les vieux livres, enfouis au fond des placards des grands-mères, coincés entre les piles de linge amidonné, celles des cartes à jouer fripées, et les cartons pleins des photographies jaunies de la saga familiale, encore plus. Dans l’enfer d’Oradour 1 , de Pierre Poitevin, paru en 1944, est de ceux-là, que j’ai extirpé, il y a déjà longtemps, du secret d’une armoire de famille limousine. Cette dernière aurait pu, à quelques infimes hasards près, subir la rage du feu de haine qui s’abattit le 10 juillet 1944 sur Oradour-sur-Glane, le bourg d’importance le plus proche du berceau de ma famille.

Quand je montrai ma découverte à ma grand-mère, elle la commenta d’un laconique « c’était la guerre », empreint d’une indicible tristesse... J’ouvris évidemment ce vénérable ouvrage, le lus et ne l’oubliais pas.

D’un coup, un certain « inframonde » familial m’apparaissait plus clairement. Les récurrentes marques de rejet à l’égard de l’Allemagne, la fréquence de l’emploi de termes très connotés (même si adoucis par le parler patois) quand on évoquait « les Allemands », les préférences politiques de mes grands-parents (proches des options de « Lou Gran », Georges Guinguoin, le préfet du maquis), certains silences des fins de repas estivaux aussi, avaient donc une origine. Ici, les miens avaient eu à connaître, au sein de la tragédie des années sombres, une expérience particulièrement traumatisante. Et j’avais failli passer à côté de cette vérité première que ma famille aussi avait vécu l’histoire, cette histoire-là qui plus est. Et qu’elle s’en souvenait, à défaut d'en parler.

Je connaissais évidemment déjà l’histoire scolaire de la Deuxième Guerre mondiale, qui ne m’avait guère passionné et avec laquelle je n’entretenais pas d’affinité particulière. A l’occasion de cette lecture naïve, une intuition était en revanche née en moi, qui acquerrait progressivement la force d’une évidence, mais que je ne parviendrais à formaliser et conceptualiser que beaucoup plus tard : l’histoire a une mémoire.

Peut-être est-ce de cet épisode précis, de cette triple découverte (un livre, une histoire-mémoire familiale, une « théorie » de l’histoire), que me vinrent l’idée et l’envie de consacrer une partie de mon énergie à parcourir cette « arrière-salle », et de l’arpenter en historien. En tout cas, quelque chose était amorcé.

Il fallait à présent travailler. En partant de cette conviction que dans l’histoire de ces années-là, et surtout dans la façon dont on s’en souvient, réside l’une des clefs de voûte de l’identité française très contemporaine, sûrement son nœud vital.

Je trouvais dans la région grenobloise, où je m’étais installé, un formidable terrain d’enquête, que j’expérimentais timidement plusieurs fois avant de me lancer dans le travail de plus longue haleine que l’on va lire. Sans attache affective avec ce coin de France, je n’en étais peut-être que plus libre pour sonder sa mémoire des événements de la Deuxième Guerre mondiale, qu’en néophyte j’imaginais forte et puissante (le nom « Vercors  », en particulier, m’impressionnait terriblement...).

Je ne m’étais pas trompé. Ici aussi, on avait du s’affronter âprement à la dureté de cette « situation extrême » que fut le dernier conflit mondial. Ici aussi, l’histoire de la Deuxième Guerre possédait une mémoire. Et cette mémoire méritait qu’on écrive son histoire.

C’est ce que j’ai humblement essayé de faire. Ce fut une joie constante (malgré les difficultés parfois insurmontables auxquelles je me suis heurté !). Et ce fut aussi un honneur – pourquoi ne pas le dire – que de pouvoir évaluer la solidité du pilier identitaire qu’est, dans la région, la mémoire de la Résistance, en côtoyant ceux qui en furent l’armature vivante : les « anciens » résistants.

Certains choix président à l’élaboration de ce travail. Je ne veux certainement pas m’en justifier ici, puisqu’aussi bien ce serait pratiquement m’en excuser, alors qu’au contraire je les revendique et les assume complètement (cf. infra).

Je suis certain qu’il faut savoir prendre son temps. Voilà ma norme.

Je pense qu’il faut citer, parfois longuement, souvent tels quels, les documents, parce qu’ils sont les fidèles réceptacles de l’histoire des hommes. Je crois que la seule logique qui vaille est celle de la démonstration, qu’on se doit de mener jusqu’à son terme, résolument, quitte à ce que ce « jusqu’au boutisme » induise un certain déséquilibre entre les chapitres et aboutisse à augmenter le volume final du texte. Je suis persuadé que consacrer une longue introduction aux aspects de méthode, à l’épistémologie et à la déontologie de la pratique historienne n’est pas perdre son énergie, mais bien répondre aux premières exigences du métier : c’est déjà « faire et écrire » de l’histoire.

Malgré le soin apporté à la confection technique et à la présentation matérielle de ce travail (je me suis acquitté seul de ces deux tâches), des imperfections demeurent dans le texte, qui me sont odieuses. Elles sont fatales, étant donné le peu de fiabilité du logiciel de traitement de texte que l’on est obligé d’utiliser, parce qu’il est en position de monopole sur le marché de la micro-édition (Word, de Microsoft). La pollution qui est la plus insupportable à mes yeux est celle qui aboutit au décalage entre les appels de note et le texte des notes (dans ce cas prècis, la ligne de séparation traverse la page dans toute sa largeur). Sans parvenir à totalement les éradiquer, j’ai tenté de réduire au minimum ces désagréments.

Notes
1.

Au service de la France. Dans l’enfer d’Oradour . Le plus monstrueux crime de la guerre, Pierre Poitevin, Limoges, Imprimerie de la société anonyme des journaux et publications du centre, octobre 1944, 220 p.