Et pour commencer, pourquoi ne pas revendiquer et faire une force de ce que d’aucuns ont pu reprocher à l’histoire, c’est-à-dire sa distance. Puisqu’il est admis que l’histoire se situe en dehors de l’événement et développe, depuis cette position extérieure, une approche critique alors que la mémoire se place elle dans l’événement, en remontant et cheminant à l’intérieur du sujet, il n’y a pas d’impossibilité technique à envisager que la première constitue la seconde comme son objet d’étude. L’histoire est distance : elle est fidèle à cet engagement ‘ « en appréhendant l’événement, en le décortiquant et en tentant d’en extraire la substance et le sens – dans la double acception de ce dernier terme, à savoir la direction et la signification ’ ‘ 64 ’ ‘ » ’. Remplaçons dans cette équation la notion d’événement par celle de mémoire et, sans que cette substitution n’interfère en rien sur aucun des autres termes de la phrase, nous voilà dotés d’une proposition très convaincante. Et il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe sémantique ou terminologique, mais bien d’un passage raisonné de la notion d’événement (elle-même récemment réhabilitée après les dégâts produits par les Annales dans les années cinquante à quatre-vingt) à celle de mémoire. Cette transaction scientifique s’établit par l’intermédiaire d’une troisième notion, récemment apparue et discutée dans le domaine de compétence des historiens : le « Temps présent ».
François Bédarida, « La mémoire contre l’Histoire », art. cité, p. 7.