1 – Pas d’Occupation, une Occupation, deux Occupations…

La première des spécificités régionales est géographique. Après s’être victorieusement opposée aux troupes allemandes (arrêtées au niveau de la « cluse » de Voreppe par les forces des généraux Mer, Cartier et Olry, celles-ci ne peuvent déferler sur Grenoble), la région est confirmée dans sa précaire invincibilité par les clauses de l’Armistice du 22 juin 1940 124 . En effet, situés en zone non occupée, Grenoble et le département ne sont pas soumis, pendant plus de deux ans, à l’occupation ennemie. Cela a pour effet, entre autres, de conférer à Grenoble le statut d’une « ville refuge », pour reprendre la juste expression de Pierre Bolle, qui rappelle fort à propos qu’‘ « enserrée dans ses montagnes, Grenoble apparaît comme un réduit de sécurité et pour beaucoup devient un refuge ’ ‘ 125 ’ ‘  ».

Mais la relative tranquillité dont semble jouir Grenoble est factice. Sa situation change quand, au lendemain du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, l’armée italienne 126 prend ses quartiers dans la capitale des Alpes. Reste que cette première présence étrangère est à peine perçue comme une occupation ennemie par la population locale, Michel Chanal écrivant que ‘ « cette occupation […] d’une durée d’environ dix mois […] n’a effectivement pas laissé dans la mémoire collective un souvenir aussi traumatisant que l’occupation allemande qui lui fit suite ’ ‘ 127 ’ ‘  » ’. Les Italiens se comportent effectivement en vainqueurs « compréhensifs », allant jusqu’à déjuger de manière spectaculaire la législation antisémite de Vichy et à se muer ainsi en protecteurs de fait des Juifs réfugiés à Grenoble 128 .

Cependant, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1943, les Allemands remplacent les Italiens, qui ont fait défection le 8 après que le maréchal Badoglio a signé l’Armistice. Il ne s’agit pas d’un pacifique passage de relais – les affrontements entre les anciens partenaires furent violents et sanglants à Grenoble – mais bien d’une rupture. Et même de la plus importante de celles qui affectent Grenoble en quatre ans. Cette deuxième occupation marque en effet le début d’une séquence chronologique qui pour être courte (onze mois, moins d’une année), sera traumatisante. Pour la première fois, Grenoble et sa région sont confrontées à une politique de terreur fondée sur l’idéologie barbare du système totalitaire nazi. Les Allemands (Wehrmacht, Gestapo, etc.) appliquent à l’échelle locale une tactique de répression tous azimuts. Tardivement mais d’autant plus brutalement, la ville entre alors de plain-pied dans la Seconde Guerre mondiale et son cortège de drames.

Notes
124.

Les conditions de l’armistice sont demandées le 17 par Pétain et il est signé le 22.

125.

« Grenoble, "ville-refuge" », in Résistance en Isère. Le livre du musée, op. cit., p. 43.

126.

Il s’agit des éléments d’une division alpine (la cinquième, Pusteria) commandée par le général Di Castiglione.

127.

Il faut rappeler que le bilan répressif au passif du général Di Castiglione est quasiment nul (un seul résistant fusillé, le 29 mai 1943, à Crolles, après avoir été livré par les autorités de Vichy ; cent quatre vingt arrestations dont seule une cinquantaine seront maintenues, pratiquées par la Police Politique Secrète italienne, l’OVRA ; etc.). En outre, les Italiens ne pressurèrent pas, économiquement, la région, loin s’en faut. Lire Michel Chanal, « L’occupation italienne dans l’Isère » in Résistance en Isère..., op. cit., p. 63-66 (citation p. 63) et « L’Occupation italienne dans l’Isère », in Guerra e Resistanza nelle regioni alpine occidentali. 1940-1945, Instituto di Scienze Politiche, Universita di Torino, Franco Angeli Editore, Milano, 1980, p. 133-171.

128.

Dans l’exposition permanente du musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, cette pièce documentaire signée de la main du général, qui interdit toute arrestation contre les Juifs vivant à Grenoble, et qui fait relâcher ceux qui ont déjà été arrêtées sous l’invocation de « protéger l’ordre public ».