III – La durée d’une génération : une triple validité.

Une génération et un peu plus pourrait-on écrire 170 . Car là encore, au moment de borner cette fois-ci dans le temps l’extension de notre recherche, on ne peut guère se satisfaire d’une coupure trop nette 171 . Les expressions de la mémoire collective ne respectent pas plus les artificielles limites temporelles qu’elles ne s’accommodent des arbitraires frontières spatiales. Cependant, comme toute entreprise historienne, le projet d’écrire l’histoire de la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale à Grenoble et dans sa région ne peut se passer de périodisation. Faire cette histoire-là obéit aux mêmes règles que faire une autre histoire. Il convient donc de la construire en objet scientifique. Et précisément, cette historisation s’obtient d’abord en dégageant une structure temporelle général et aisément manipulable, l’historien étant celui des spécialistes des « sciences sociales » le plus apte à manier la diachronie. A l’intérieur de ce « nouvel atelier d’historien », il faut veiller d’un côté à ce que le cadre chronologique que nous allons choisir ne soit pas contraignant au point de se transformer en un étouffant carcan et d’un autre côté à ce que l’objet historique « période » que nous aurons ainsi bâti ne s’affranchisse pas des phénomènes que nous voulons examiner au point de fonctionner de manière trop autonome. Comme l’assène définitivement l’aphorisme connu de Lord Acton : ‘ « Study problems, not periods ’ ‘ 172 ’ ‘ . »

S’exercer à la périodisation, c’est en effet se contraindre à opérer des ruptures qui, peu ou prou, sont artificielles. D’autant que quand elles ne correspondent pas à des coupures évidentes (de celles qui vont de soi et qu’affectionne particulièrement l’histoire politique : changements de gouvernement, de législatures, etc.), ces articulations sont pour l’essentiel à inventer par le chercheur.

Notre charnière, nous avons donc choisi de l’établir en 1964, parce qu’il y a selon nous une triple justification à être aussi précis.

Notes
170.

Sur le concept de génération et son importance en histoire contemporaine, voir Pierre Nora, « La génération », in Les Lieux de mémoire, III. Les France, 1. Conflits et partages (Pierre Nora dir.), Paris, NRF/Gallimard, collection « Bibliothèque illustrée des histoires », 1992, p. 931-971 et le numéro spécial (n° 22, avril-juin 1989, Les générations) de Vingtième siècle. Revue d’histoire (notamment Jean-François Sirinelli, « Génération et histoire politique », p. 67-80 ; Philippe Buton, « Les générations communistes », p. 81-91 ; Olivier Wieviorka, « La génération de la Résistance », p. 111-116).

171.

C’est un constat valable y compris pour la limite chronologique « amont » de notre étude. Commencer en 1944, pour naturel que cela paraisse de prime abord, n’est pas toujours pertinent, on le verra.

172.

Cité par Antoine Prost, in Douze leçons sur l’histoire, op. cit., p. 75 et p. 116. Lord Acton est l’auteur d’un ouvrage de référence : A Lecture on the Study of History. Delivered at Cambridge, June 11 1895, Londres, Macmillan, 1895, 142 p.