B – Vingt ans pour un apogée « politique ».

Vingt ans après la Libération, l’État gaulliste est au faîte de sa puissance 175 . Certain matin froid de décembre 1964, c’est bien le triomphe de la mémoire gaullienne et gaulliste de la guerre qui apparaît en pleine majesté sur les écrans de télévision français. Par la triple entremise de la figure de Jean Moulin, du hiératique décor du Panthéon et de la voix éraillée du tribun Malraux, le chef de l’État rappelle à la nation qu’il fut le chef de la Résistance et qu’il entend le rester pour la postérité 176 . L’épisode commémoratif a marqué les souvenirs. Qui a écouté une fois les mots de Malraux ne peut les oublier, pas plus qu’il ne peut, même très longtemps après, réfréner son émotion au moment où éclate le Chant des partisans entonné ce jour-là par un chœur on ne peut plus martial. Le rendez-vous mémoriel était bien préparé et a fonctionné peut-être au-delà des espérances de ses initiateurs. Cette journée n’est-elle pas pratiquement en soi un « lieu de mémoire » ? Elle clôt surtout un cycle. En consacrant la mémoire gaulliste, la cérémonie achève une bataille : celle qui depuis la fin de la guerre opposait communistes et partisans du général autour de l’enjeu du monopole de la mémoire nationale de la Résistance. Ces vingt ans ont au moins cette cohérence-là : ils sont le temps des batailles politiques de mémoire. Après 1964, d’autres questions de mémoire surgiront, mais qui obéissent à une autre logique et qui ouvrent donc sur une autre période. La « panthéonisation » de Jean Moulin opère ainsi une franche coupure dans la chronologie propre au mouvement de la mémoire nationale de la Deuxième Guerre mondiale, dont nous prenons le risque d’admettre a priori qu’elle s’applique également à la situation grenobloise.

Notes
175.

Signalons deux événements intervenus dans ces années et qui intéressent au premier chef notre étude : de Gaulle a refermé la « boîte à chagrins » en 1962 ; il a signé les accords de l’Élysée avec le chancelier allemand Adenauer en janvier 1963, scellant ainsi la réconciliation franco-allemande.

176.

Pour une analyse complète de ces deux journées commémoratives, lire le chapitre intitulé « L’honneur inventé » que leur consacre Henry Rousso, in Le syndrome…, op. cit., pages 100 à 116.