A – Archives officielles.

Le propos de notre étude se situe délibérément dans une optique monographique régionale. C’est un choix problématique qui commande de partir des documents conservés « sur place ». Méthodologiquement, cela signifie que nous avons volontairement inversé la relation hiérarchique de dépendance qu’entretiennent d’habitude les Archives Départementales à l’égard des Archives Nationales. Grâce à l’aide et à la compréhension d’Yves Soulingeas, Directeur des Archives Départementales de l’Isère et de Tal Bruttmann, chargé de classer les fonds contemporains, nous avons pu établir un répertoire que nous pensons être quasiment exhaustif des dossiers conservés en Isère et qui intéresse directement et indirectement notre sujet.

D’ampleur variée, d’intérêt inégal – et parfois décevant au regard de l’intitulé générique qui figure sur les inventaires –, souvent d’un classement interne anarchique, voire inexistant, ces presque deux cents cartons sont une mine. Beaucoup contiennent des documents qui, au titre de la loi de 1979, ne sont pas consultables sans dérogation 191 . Parmi ceux-ci, les plus riches sont sans conteste les rapports établis par les enquêteurs des Renseignements Généraux et dont les ADI possèdent un exemplaire, la préfecture ayant versé à l’instance de conservation départementale celui qui est adressé systématiquement au préfet 192 . Le champ d’investigation des « RG » est à ce point sans limite qu’on ne cesse d’être impressionné de cette absence de borne. Leurs rapports – de détails, sur tel ou tel aspect ponctuel de la vie grenobloise ou départementale –, de synthèse – selon une périodicité quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle – sont d’une précision sans concession. Grâce à eux, nous avons pu notamment suivre d’une autre façon le déroulement des cérémonies commémoratives, dont nous craignions qu’elles ne fussent accessibles que par l’intermédiaire des articles de la presse locale. Sans ces précieux rapports, qu’aurions-nous compris de la vie associative des Anciens Combattants et Victimes de Guerre ? Qu’aurions-nous su des débats très internes de tel comité d’érection à propos de tel monument ? Ou de l’insistance avec laquelle les responsables locaux du PCF et du RPF encouragent leurs sympathisants à réclamer pour eux seuls la gloire et le mérite d’avoir résisté ? Et ces activistes pétainistes, proches du MP13 et de l’OAS, qui militent pour la réhabilitation du maréchal, les aurions-nous même remarqués (cf. infra, notre partie consacrée à la « mémoire noire » de Grenoble) ?

Évidemment, la nature même de ces pièces documentaires incite à une certaine prudence dans leur maniement. Il est hors de question de considérer qu’ils sont « purs ». On ne doit surtout pas les exonérer de la double critique (externe et interne) à laquelle tout document doit être soumis, a fortiori quand il émane de services de surveillance agissant au nom de l’État.

Les renseignements que nous fournissent les documents concernés aux ADI, quand ils nous ont paru carentiels, nous avons cherché à les compléter en fréquentant principalement trois autres lieux de conservation.

Les Archives Nationales sont peu intéressantes pour nous, par définition presque, on l’a dit. Quand nous avons sollicité les services du CARAN 193 , nous avons été cordialement accueillis, très efficacement renseignés et les progrès récents des nouvelles technologies en informatique (cf. infra, « A nouvelles technologies, nouvelles pratiques ? ») nous ont permis de communiquer à distance en évitant ainsi de trop fréquents déplacements. Si quelques dossiers nous ont apporté des compléments nécessaires, force est de constater que la matière documentaire est locale. Quelques visites aux Archives Départementales de la Drôme nous ont aidé à compléter, mais à la marge, notre étude (notamment à propos du Vercors 194 ). Plus conséquente, plus difficile à cerner également du fait de son éclatement et de son manque de classement, la documentation des Archives Municipales de Grenoble 195 nous a été d’un grand secours, surtout en ce qui concerne les associations d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre et les aléas de l’érection du monument aux morts grenoblois de la Seconde Guerre mondiale.

Si l’on ne peut pas, au sens strict du terme, parler d’archives officielles pour les documents écrits qui sont conservés au Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère (non seulement parce qu’ils ne sont pas uniquement émis par les services de l’État, du département ou de la ville, mais aussi parce que le musée n’a pas pour mission officielle principale d’être un lieu de conservation de l’archive écrite), il est certain que les nombreuses pièces qui ont été inventoriées et classées par Jacques Loiseau, le documentaliste du musée, nous ont été très utiles, quelle que soit leur provenance 196 .

Nous n’avons en revanche que peu eu recours aux archives du Musée des Troupes de Montagne , qui sont strictement « militaires » et d’un intérêt trop limité (notes de services organisant la mise en place du volet militaire des cérémonies commémoratives, par ailleurs disponibles aux ADI, etc.) pour que, après qu’un rapide sondage nous a donné un aperçu de leur contenu, nous entreprenions un dépouillement d’envergure 197 .

Notes
191.

Nous avons présenté neuf demandes de dérogation. Nous les avons toutes obtenues, ce qui prouve bien que contrairement à la paranoïa qu’essayent d’entretenir certains « historiens » qui n’hésitent pas à parler de complot de l’État – celui-ci ne voulant pas qu’on écrive son histoire d’après Sonia Combe (Archives interdites : les peurs françaises face à l’histoire contemporaine, Paris, Albin Michel, 1994, 327 p.) – on peut travailler très librement en archive.

192.

Ces rapports sont en règle générale édités à quatre exemplaires : un est adressé au ministère de l’Intérieur, un deuxième au responsable régional des Renseignements Généraux, à Lyon, le troisième reste dans le service émetteur avant d’être archivé et le quatrième, donc, est envoyé au préfet.

193.

Centre d’Accueil et de Recherche des Archives Nationales.

194.

Merci surtout à notre ami Gilles Vergnon, connaisseur s’il en est des fonds des Archives Départementales de la Drôme, de nous avoir ouvert sa documentation et ses dossiers.

195.

Et d’autres villes de l’agglomération, dans une moindre mesure cependant : Saint-Martin-d’Hères, Varces, Saint-Egrève, Meylan, etc.

196.

Ces archives, souvent constituées de papiers personnels inédits conservés pendant longtemps par d’anciens responsables locaux de la Résistance qui accélèrent actuellement leur don, en raison de la création d’un nouveau musée de la Résistance et de la Déportation, sont souvent très intéressantes. Sur tous ces aspects, on peut consulter notre rapport de stage, effectué dans le cadre du DEA « Relations et interactions culturelles internationales » et intitulé Le musée de la Déportation de Grenoble : un patrimoine local à la disposition de l’Europe, sous la direction de Pierre Guillen, Grenoble, Université des Sciences sociales de Grenoble (Pierre Mendès France)/UFR des Sciences humaines, département d’histoire, septembre 1993, 84 p.

197.

La revue que publie le musée (Les Cahiers des troupes de montagne, de périodicité trimestrielle) peut cependant parfois fournir d’intéressantes précisions. Le SHAT (Service Historique de l’Armée de Terre) et le musée de la Résistance Nationale de Champigny, malgré la disponibilité de leur personnel, n’ont pu nous procurer aucun renseignement utile.