B – La presse.

Nous avons adopté le même raisonnement en ce qui concerne le traitement de la presse que pour les archives officielles : du bas vers le haut, du local au national, nous nous sommes astreints à un travail de dépouillement quasi systématique – dont il ne faut pas passer sous silence le caractère fastidieux.

Pour ce qui est de la presse publique , nous avons passé au crible les trois puis quatre journaux quotidiens édités 198 à Grenoble pour une période de trois ans. Il fallait que nous consacrions du temps et de l’énergie à cette entreprise, car la presse, dans sa familiarité, sa quotidienneté précisément, fournit un éclairage sans pareil sur la façon dont, au jour le jour et de manière de prime abord anodine, se construisent et se propagent les représentations du conflit. Le miroir de la presse, on le sait, renvoie une image biaisée de la réalité des phénomènes. Son prisme est par nature déformant ; encore plus peut-être à une époque où l’engagement politique de tous et de chacun fait de chaque périodique un journal d’opinion, presque partisan. Le fait que les périodiques grenoblois et isérois ne soient pas disponibles sur microfilm 199 complique leur consultation, en la ralentissant. Par bonheur, à partir de l’année 1947, la revue de presse tenue par les services de la mairie de Grenoble est d’une grande qualité (contrairement à celle de la préfecture...) et permet au chercheur de progresser à un rythme plus soutenu, d’autant que bientôt 200 les titres grenoblois se résument au seul Dauphiné Libéré (et à l’édition grenobloise du Progrès).

La presse publique de périodicité hebdomadaire est moins riche : elle ne nous est, admettons-le, guère utile. De même, il est rare que la presse nationale s’intéresse de près à la mémoire grenobloise, à ses mouvements et à ses contradictions. Sauf à de rares et célèbres occasions (polémique vercorienne, visites mouvementées du général de Gaulle dans la région, « affaire Finaly », etc.), les grands titres nationaux laissent la région à sa spécificité. Et quand ils ouvrent à l’occasion leurs colonnes à tel conflit de mémoire, c’est pour jouer le rôle d’une caisse de résonance médiatique plus que pour prendre position, en fonction de leur orientation politique par exemple 201 .

La presse associative est elle triplement « désespérante ». Tout d’abord, elle est trop fournie en nombre si ce n’est en qualité, chaque association estimant vital de publier au moins un bulletin interne de liaison à destination de ses adhérents. Ensuite, les « séries continues » sont difficiles à reconstituer, tant la périodicité de ces publications est aléatoire, leur espérance de vie limitée, et leur archivage problématique 202 . Enfin, et c’est le plus important, à force de redondances et de récurrences, la presse associative ne nous apprend finalement pas grand-chose. Ou plutôt, ce que l’on comprend de l’identité mémorielle de tel groupe à la lecture de ces premiers numéros, on ne fait qu’en trouver une longue et répétitive confirmation tout au long des années. La presse associative, toute la presse associative, a un discours de la tradition. On repère peu de changement, y compris quand les circonstances politiques extérieures à la vie du groupe associatif dont elle est le porte-parole écrit, elles, produisent de la rupture. Il faut tenir le cap et rester les mêmes. C’est cette ambition, cette obsession de la conservation identitaire qui finit par rendre peu intéressante la lecture systématique d’une presse à usage essentiellement interne. Nous avons dans ce domaine du en rabattre par rapport à nos ambitions initiales 203 . Ce n’est certes pas l’ampleur d’un programme de lecture systématique, intrinsèquement pourtant effrayant, qui nous a fait renoncer à mi-parcours, mais bien le constat méthodologique que nous n’apprenions rien sur ces mémoires que nous ne savions depuis le numéro zéro 204 ...

Notes
198.

Le Travailleur Alpin, d’obédience communiste ; Les Allobroges, dont les rotatives sont un temps communes au MLN et au Front National ; Le Réveil, très proche du MRP et, dernier venu, Le Dauphiné Libéré. Sur la presse grenobloise, lire Bernard Montergnole, La presse grenobloise de la Libération (1944-1952), Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1974, 256 p.

199.

La Bibliothèque Municipale d’Etude et d’Information de Grenoble mène depuis quelques années ce travail.

200.

A partir du début des années cinquante.

201.

Quant à la presse internationale, c’est seulement de temps en temps que des occurrences concernant l’histoire locale peuvent y être relevées. Comme ce long article que publie le 2 octobre 1944 Life, le supplément hebdomadaire illustré de Time, à propos de l’exécution des miliciens du cours Berriat ; cf. annexe n° III.

202.

Les associations elles-mêmes ne possèdent pas toujours la totalité de la collection. Ou alors le premier numéro manque, etc.

203.

Nous écrivions ainsi il y a quelques années : « Nous avons pour l’instant, avec Monsieur Loiseau et Monsieur Zaparucha , comptabilisé onze périodiques “associatifs”. Monsieur Zaparucha dresse actuellement pour nous une liste exhaustive, dont il estime à une vingtaine le nombre de titres. Nous devrons dépouiller là aussi systématiquement – quelle que soit leur qualité, leur audience et leur périodicité – ces journaux pour la période qui nous intéresse » ; in Mémoire et enjeux de mémoire de la Deuxième Guerre mondiale à Grenoble et dans sa région (1944-1964) : essai d’approche méthodologique et perspectives de recherche, mémoire de DEA (Relations et Interactions Culturelles Internationales), sous la direction de Pierre Guillen, Université des Sciences sociales de Grenoble (Pierre Mendès France)/UFR des Sciences humaines, département d’histoire, septembre 1993, p. 87.

204.

C’est frappant à lire par exemple le journal des Pionniers du Vercors, que l’on peut consulter au musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.