La logique démonstrative ou la règle de l’autolimitation

Il ne faut cependant pas, ni dans ce domaine ni dans aucun autre, se laisser entraîner à un quelconque intégrisme. Se réjouir de devoir s’affronter à leur réalité n’est pas abdiquer devant les documents, car comme pour la soumission aux faits, la soumission aux documents ne peut être tenue pour une garantie d’objectivité. La connaissance intime de ceux-ci doit au contraire amener à l’intuition d’une thèse (dans le sens grec du terme, « action de poser », ici une idée…) par rapport à l’objet d’étude. Ils sont donc à la fois les inspirateurs intellectuels de l’historien et ses auxiliaires méthodologiques qui lui permettent « d’exemplifier » sa conviction. Mais inspirer ne veut pas dire « offrir sur un plateau ». C’est avant tout à l’historien d’intervenir, d’interroger, dans le sens qu’il devine, sans se laisser dicter sa conduite par les documents, sans se crisper sur sa conviction de départ. Ainsi, un des risques pour nous était de considérer d’emblée le questionnement et la structure des précédents travaux que nous avons consacrés à cette thématique comme allant de soi 307 . Ne pas les interroger de nouveau au moment où nous nous apprêtons à ouvrir beaucoup plus largement notre perspective chronologique aurait été une erreur. Non seulement parce qu’en histoire, le temps et la chronologie font en eux-mêmes sens, mais aussi parce que comme le rappelle Mickaël, le brillant historien spécialiste des Indiens dans Dalva, le roman de Jim Harrison, quand il se confronte à une source documentaire inespérée : ‘ « L’étude de l’Histoire est éprouvante ; il faut sans cesse lutter contre le désir infantile de contrôler les choses au moins rétrospectivement ’ ‘ 308 ’ ‘ . » ’ Ne pas forcer la démonstration, même si l’on ressent cette sensation d’avoir raison, parce que ce serait forcer la réalité, aurait-on finalement vu juste… Résister au document trop séduisant s’il est isolé, dire et écrire quand on ne sait pas… La démarche historienne est un constant apprentissage de l’auto-contrainte 309 .

Notes
307.

Mémoire et enjeux de mémoire. Grenoble à la Libération (1944-1946), mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine sous la direction de Jean-Pierre Viallet, Université des Sciences sociales de Grenoble (Pierre Mendès France)/UFR des Sciences humaines, département d’histoire, septembre 1991, 452 p. ; Mémoire et enjeux de mémoire de la Deuxième Guerre mondiale à Grenoble et dans sa région (1944-1964) : essai d’approche méthodologique et perspectives de recherche, mémoire de DEA (Relations et Interactions Culturelles Internationales), sous la direction de Pierre Guillen, Université des Sciences sociales de Grenoble (Pierre Mendès France)/UFR des Sciences humaines, département d’histoire, septembre 1993, 253 p. ; « Grenoble est libéré ! L’opinion publique grenobloise à la Libération. Enjeux d’images et représentations mentales », in Cahiers d’Histoire, tome XXXIX, n° 3-4, numéro spécial, p. 271-299 ; Grenoble à la Libération (1944-1945). Opinion publique et imaginaire social, Paris, L’Harmattan, collection « Mémoires du XXè siècle », 1995, 318 p.

308.

Jim Harrison, Dalva, 1991 pour l’édition de poche « 10-18 », p. 187.

309.

En fait, une manière d’exposé sommaire de la rigueur démonstrative pourrait ainsi s’énoncer : une idée, une analyse, un exemple. Ce triptyque (nous sommes fidèles à cet axiome naïvement libellé ici depuis que notre professeur d’histoire en Khâgne nous l’a enseigné ; qu’il en soit ici remercié) peut certes paraître un truisme, mais c’est un autre des piliers intellectuels de notre travail.