2 – « A nos glorieux militaires » : images et imagerie militaires grenobloises.

On sait que la première fracture que connut la France des années quarante fut la défaite sans appel que subit son armée. Succédant aux mois d’attente de la « Drôle de guerre », la « guerre-éclair » allemande brisa littéralement, en quelques semaines, l’armée française, reléguant sur les chemins de l’exode des soldats qui, pas plus que la population civile à laquelle ils étaient mêlés, ne semblaient comprendre ce qui se passait et ce qui leur arrivait.

De nombreux romans et quelques films 330 ont pris le relais des témoignages de l’époque, et relatent dans quelles conditions de désespoir psychologique cette débâcle plongea la France. D’une manière plus rigoureuse, Robert O. Paxtonet surtout Jean-Pierre Azéma 331 ont chacun montré l’ampleur que prit cette défaite sans appel, qui sanctionnait une incapacité tout autant politique que militaire. Le traumatisme national était réel, puisque l’armée dont on s’évertuait à penser qu’elle était encore une des plus puissantes d’Europe, n’avait pu s’opposer longtemps aux troupes d’Hitler.

L’armée française était donc, en juin 1940, complètement déconsidérée. Pour elle, il paraissait certain que toute possibilité d’accéder à une image positive dans l’opinion publique concernant son action durant cette période lui serait interdite au moment où interviendrait la libération du territoire. Elle avait failli, point.

De Gaullecomprit mieux que quiconque la situation et ce fut une de ses obsessions les plus constantes que de chercher à reconstituer l’armée française et à lui rendre sa fierté au cours de quatre ans de combats, menés d’abord en Afrique et en Asie, puis en Europe 332 .

Et à partir de l’été 1944, c’est donc une toute nouvelle armée sur laquelle peut s’appuyer la France renaissante, une armée que l’on célèbre de façon grandiose à Paris lors de la Journée des Drapeaux du 1er avril 1945. Le discours gaulliste est en l’occurrence on ne peut plus clair : il propose à la France de renouer avec son armée, selon lui intégralement rendue à son honneur ; le but est de conjurer la rupture profonde intervenue entre la nation et ses forces militaires cinq ans plus tôt et d’exorciser la malédiction mémorielle qui risque de la frapper.

Notes
330.

Pas toujours d’une excellente facture, reconnaissons-le ; on pense ici et en tout premier lieu aux romans de Régine Desforges, parmi lesquels le célèbre et populaire Bicyclette bleue...

331.

Robert O. Paxton, La France de Vichy . 1940-1944, Paris, Le Seuil, collection « Points-Histoire »,1973, 380 p. ; Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération (1938-1944), Paris, Le Seuil, collection « Points-Histoire », série « Nouvelle histoire de la France contemporaine », n° 14, 1979, 416 p. et 1940, l’année terrible, Paris, Le Seuil, collection « L’Univers Historique », 1990, 380 p.

332.

Lire l’article de Claude d’Abzac-Epezy, « Épuration, dégagements, exclusions. Les réductions d’effectifs dans l’armée française (1940-1947) », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 59, juillet-septembre, p. 62-75.