2 – La guerre des images ou la Résistance sur les murs 478 .

‘AFFICHE [n. f.] : feuille imprimée destinée à porter qqch. à la connaissance du public et placardée sur les murs ou des emplacements réservés.
feuille imprimée, souvent illustrée, portant un avis officiel, publicitaire, etc., placardée dans un lieu public 479 .’

Les images, pour que leur discours, symbolique ou explicite, soit efficace, doivent évidemment être vues par le public. Elles doivent s’afficher. Méditant l’ancien précepte de George Berkeley (« Être, c’est être perçu »), la Résistance engage logiquement très tôt la bataille des représentations. Rendre visibles et publics non seulement ses messages, mais aussi son image, c’est dire qui on est et ce que l’on veut et donc nécessairement investir le champ de la communication, afin de gagner l’opinion publique. S’afficher en pleine lumière est ainsi paradoxalement nécessaire à « l’armée des ombres ».

Pendant la guerre, sur les murs (dont on sait – qui ne connaît cette affiche ? – qu’à l’époque « ils ont des oreilles... »), s’engage alors une bataille qui, pour être symbolique, n’en est pas moins violente. Et évidemment inégale.

Car d’un côté, il y a la parole officielle, bien entendu la seule à être autorisée (ce qui constitue un immense avantage), qui se donne à voir et à lire en entonnant un chœur à deux voix, entre celle, chevrotante, de Pétain, qui se fige en messages comminatoires (« Êtes-vous plus Français que lui ? ») et celle, gutturale, des Allemands, dont les slogans se font parfois patelins pour mieux mettre en coupe la France (« Populations abandonnées, faites confiance au soldat allemand »). Cette propagande d’État, lourde et souvent trop sûre d’elle-même, loupe cependant parfois son coup, comme avec la célèbre « affiche rouge », censée stigmatiser et désigner à la vindicte populaire 10 des 22 fusillés du groupe Manouchian, alors qu’elle va tout au contraire héroïser ces figures, supposées patibulaires.

De l’autre côté, en face, et parfois sur le même mur, les affiches, placards, papillons, encarts et graffiti des « terroristes », des réprouvés qui ont compris qu’il ne faut pas céder un pouce de ce « mur murmurant murant 480  » non plus Paris, comme au temps du Second Empire, mais la France dans son entier.

La difficulté réside d’ailleurs là pour la Résistance : comment faire pour que la craie et le papier pelure l’emportent sur la quadrichromie et l’offset et que les colleurs d’affiches à la dérobée supplantent la Propaganda Abteilung ?

Une des principales armes de la Résistance consiste dans le détournement 481  : se servir du support que fournissent les affiches de Vichy pour défendre sa propre cause en faisant dévier son dessin et/ou son message 482 . C’est là évidemment un pis aller. Durant la clandestinité, faire accéder à la notoriété son message est par définition difficile. Dans ce domaine comme dans beaucoup, il s’agit surtout de « résister » à la propagande officielle. Et il faudra attendre la période de la Libération pour, en même temps que se multiplient les combats et que se précise la victoire, se mettent à fleurir les affiches, comme nous le verrons plus avant dans ce chapitre.

« La poésie, c’est la rencontre d’un son et d’un sens » ’, d’après Paul Claudel. Une affiche fonctionne un peu sur le même schéma : un dessin plus un slogan. Certes, les techniques se perfectionnent à partir du milieu des années trente, à l’heure où les totalitarismes expérimentent toute l’étendue de la gamme de la propagande : photographies intégrées au dessin, photomontages, stylisation du trait qui remplace la simple figuration, plus grande place des symboles, etc. Faire image et délivrer un message, le plus souvent politique, donner du sens par l’image, faire naître la conviction et entraîner l’adhésion, voilà le but de l’affiche en tant que procédé technique. Celle de guerre est souvent abrupte à force d’être dépouillée : la force d’impact du message est accentuée par l’utilisation de techniques picturales sobres (comme celles, célèbres, de Paul Colin pendant la « drôle de guerre », ou celles du dessinateur attitré de l’extrême-droite, Ralph Soupault. Et comme trois des quatre affiches que nous nous proposons d’étudier ici, qui sont dues à l’affichiste grenoblois Darnaud). Le texte, partie intégrante de l’affiche et qui la compose presque au même titre que le dessin, doit cependant la plupart du temps se réduire à sa plus simple expression : c’est-à-dire faire lui aussi image.

Mais l’affiche peut aussi être simple support explicatif : donner à lire, afficher du texte, comme c’est par exemple le cas de celle-ci.

Notes
478.

Les quelques pages qui suivent s’inspirent largement de notre article qui porte le même titre, in Affiches des Années Noires. 1940-1945, musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, Grenoble, Éditions Cent Pages, 1996, p. 37-41. Les photographies sont tirées de la collection du MRDI.

479.

Dictionnaire Robert et dictionnaire Larousse.

480.

Expression inventée par un journaliste parisien pour évoquer le mécontentement ouvrier qui montait contre Napoléon III dans les banlieues parisiennes qui encerclaient la capitale, au XIXème siècle.

481.

Ce que Robert Frank appelle la « guérilla des murs », rappelant qu’à ces actions « la Préfecture de Paris [crut] devoir répliquer par la voie d’une affichette menaçante : “[...] la lacération et l’endommagement d’affiches de l’Autorité occupante seront considérées comme acte de sabotage et punis des peines les plus sévères” » ; in Images de la France de Vichy, ouvrage collectif, Paris, La Documentation française, 1988, p. 212.

482.

Ne citons qu’un seul exemple de ces habiles détournements : celui de cette affiche qui représente un char d’assaut allemand conduit par un tankiste souriant ; le slogan qui l’accompagne est le suivant : « Si tu veux que la France vive, tu combattras dans la Waffen SS contre le Bolchevisme. » « Retouchée » par la Résistance, quelques mots ou quelques lettres biffées, ce commandement devient : « Si tu veux que la France vive, tu combattras le Boche. » Mais les Allemands pratiquent aussi cet art particulier. Au moment où, au printemps et à l’été 1941, la campagne des V de la Victoire, venue d’Angleterre et de Belgique, bat son plein sur les murs de la France occupée, les Allemands tentent de la retourner contre les résistants, en remplaçant sur leurs affiches le mot allemand « Sieg » (Victoire) par celui de « Victoria ». Le V de Victoria sera même apposé sur la Chambre des députés et... sur la tour Eiffel.