A – Grenoble, Capitale de la Résistance.

Tout d’abord, excipant de la précoce reconnaissance gaulliste conférée par l’attribution de la Croix de la Libération, le 5 novembre 1944 505 , Grenoble « s’autobaptise » Capitale de la Résistance, se ménageant ainsi une place de premier rang au sein du panthéon national de la Résistance. On sait 506 que la Résistance iséroise a cette particularité de n’être pas limitée, dans les faits non plus d’ailleurs que dans la mémoire collective la plus contemporaine, à la seule action de ses composantes urbaines et qu’au contraire, de nos jours, un certain renversement s’est même produit en la matière puisque quand on évoque de manière très générale la Résistance « grenobloise », c’est très souvent pour parler en tout premier lieu des maquis montagnards et avant tout de ceux du Vercors 507 .

En 1944-1945, cette double dimension de la Résistance grenobloise est beaucoup plus équilibrée. On parle à part sensiblement égale du Groupe Franc de Paul Vallier et des maquis montagnards. Leur action est présentée comme parfaitement complémentaire. Ce qui préside à cette action, dans l’un et l’autre cas, c’est tout simplement l’esprit de Résistance. Maquisards du Vercors, de Chartreuse et de l’Oisans, ou Groupes Francs urbains de Grenoble, tous sont d’abord des résistants, terme que l’on écrit d’ailleurs respectueusement dans la presse de l’époque avec un « R » majuscule.

Dès le 22 août 1944, on réclame en effet pour la capitale des Alpes un autre titre de capitale : celui de la Résistance. Plusieurs facteurs sont évoqués pour cela. Les Allobroges insiste sur le fait que Grenoble est la première ville française décorée de l’Ordre de la Libération 508 . Profitant de l’avantage certain conféré par l’attribution de la décoration gaulliste, le journal évoque Grenoble comme ‘ « le bastion avancé de la Résistance [...], la ville qui mérite, par son martyre et celui de centaines de ses valeureux fils, le titre de la Capitale de la Résistance » ’. Quand le général de Gaulle arrive à Grenoble le 5 novembre 1944 pour remettre officiellement à la ville la Croix de la Libération, c’est bien sûr une nouvelle occasion d’insister avec force sur cette qualité de capitale de la Résistance qui se présente. Déjà plus ou moins en froid avec de Gaulle, le Parti communiste, par le truchement de son organe de presse locale, se fait très discret. Et n’évoquant que très peu de Gaulle, Le Travailleur Alpin ne parle en conséquence que très peu de Grenoble, accusant ainsi un léger déficit dans la contribution à l’héroïsation générique de la ville, que ses deux confrères présentent quant à eux comme la capitale maintenant officielle de la Résistance. Les Allobroges en revanche, en première page de son numéro du 6 novembre, consacré au compte rendu de la visite de De Gaulle, publie une photographie qui montre les dégâts subis par la ville pendant la guerre. Intitulée « Comment Grenoble a gagné sa croix » le cliché est significativement légendée comme ceci : ‘ « C’est en ouvrant ces brèches dans ces murs, en se meurtrissant pour anéantir sans cesse et partout l’envahisseur que Grenoble a conquis son titre de Capitale de la Résistance ».

Le tableau ci-après récapitule les titres des articles que consacre la presse grenobloise à la venue de De Gaulle et permet de constater que l’arrivée du chef du gouvernement provisoire à Grenoble est bien avant tout perçue comme la confirmation officielle, à l’échelle nationale, de son titre de Capitale de la Résistance.

Les Allobroges Nature de la typographie et importance des caractères. Le Travailleur Alpin Nature de la typographie et importance des caractères. Le Réveil Nature de la typographie et importance des caractères.
« Au terme de son voyage en terre allobroge,

le Général de GAULLE remet à Grenoble,

Capitale de la Résistance

La Croix de la Libération »
Minuscules et soulignement.


Capitales.



Petites capitales.

Capitales.
« La visite du Général DE GAULLE.

Grenoble-la-Vaillante a reçu la Croix de la Libération »
Petites capitales.


Capitales.
« Après avoir rendu au cimetière de Morette un émouvant hommage aux héros des Glières,

le Général DE GAULLE A VISITE Chambéry puis a remis à Grenoble-la-Résistante la Croix de la Libération »
Petites capitales.







Capitales.

C’est au maire 509 , en tant que représentant officiel de la communauté grenobloise, qu’est logiquement dévolue la charge de rappeler le haut titre de Grenoble, que le général De Gaulle vient en fait, de manière laïque, sanctifier le 5 novembre : ‘ « Mes chers concitoyens, Dans quelques heures, la ville de Grenoble aura le privilège d’accueillir l’ardent patriote, le grand Français en qui s’incarne l’âme de notre pays, le Général De Gaulle. De ses mains, la Métropole des Alpes françaises, qui sut mériter le titre glorieux de “Capitale de la Résistance”, recevra la Croix de la Libération ’ ‘ 510 ’ ‘ ... »

Le 6 novembre, Lafleur prend de nouveau la parole. Après avoir égrené la liste des martyrs grenoblois les plus connus, le maire s’adresse au Grand Homme pour réaffirmer le statut particulier de Grenoble : ‘ « Voilà pourquoi, mon Général, nous sommes orgueilleux de notre titre de Capitale de la Résistance, de la Croix de la Libération que, d’Alger ’ ‘ , vous nous donniez en décembre 1943. A cette époque déjà, nous pensions aux jours où vous même viendriez remettre à notre cité libérée cette suprême récompense ’ ‘ 511 ’ ‘  ».

Le 5 novembre 1944 est une célébration réciproque entre un général De Gaulle unanimement considéré comme le chef de la Résistance française, et Grenoble, à qui l’on prête la qualité de capitale de cette même Résistance. L’incontestable stature du premier cautionne et conforte l’orgueil de la seconde.

Dans le texte exact des différentes citations que reçut la Ville de Grenoble cependant, si l’on évoque bien entendu son incontestable engagement, il n’est nulle part fait mention de la Capitale de la Résistance. Grenoble s’est donc bien, d’elle-même, c’est-à-dire seule, attribuée ce titre, comptant se le réserver et outrepassant donc, en quelque sorte, ses droits mémoriels 512 .

Notes
505.

Il s’agit là de la date de la remise officielle ; Grenoble est la deuxième ville reconnue « compagnon pour la Libération de la France dans l’honneur et par la Victoire », le 4 mai 1944.

506.

Notamment grâce aux travaux de Pierre Bolle ; cf. supra, « Adaptabilité d"un objet de recherche à l’échelle locale ».

507.

Dans l’inconscient collectif, le « lieu de mémoire » résistant que constitue le Vercors semble en effet beaucoup plus prégnant que Grenoble.

508.

Les Allobroges, numéro du 23 août 1944.

509.

Frédéric Lafleur, (« Lebreton » dans la clandestinité, parce qu’originaire de Lorient), membre du Mouvement de Libération Nationale, maire de Grenoble depuis le 23 août 1944.

510.

Proclamation du maire de Grenoble, le 5 novembre 1944 ; reproduite par les trois quotidiens le 6 novembre.

511.

Discours de Lafleur repris par toute la presse le 7 novembre.

512.

Il ne semble d’ailleurs pas qu’il y ait en 1944 de réelles différences qualitatives entre le terme de Capitale de la Résistance et celui, apparemment moins fort, de Grenoble-la-Résistante. C’est ainsi que Le Réveil du 6 novembre, emploie tour à tour les deux expressions, exactement comme si elles étaient synonymes : Grenoble est LA ville Résistante par excellence, par définition.