2 – La Foi au service de la Résistance.

Au fur et à mesure que se met en place la mémoire catholique de la Deuxième Guerre mondiale, s’élabore la vision catholique du résistant idéal, si bien qu’à la fin de 1945, on peut distinguer un véritable prototype du héros catholique.

S’il est martyr, c’est à double titre : c’est en effet au nom de sa foi et au nom de son engagement dans la Résistance qu’il a accepté la mort avec courage. Tout le panthéon des héros catholiques a ainsi su méditer le message du ‘ « Révérend-Père de Montcheuil ’ ‘ , jésuite, fusillé à Grenoble par les Allemands le 11 août 1944 », que Le Réveil place en exergue de sa première page de son numéro du 26 janvier 1945 : « Il y a une intensité et une qualité d’existence plus grande dans l’acte de mourir pour être fidèle au devoir que dans une longue vie comblée, sauvée par la lâcheté. »

Et il est vrai que beaucoup de prêtres, de membres de la hiérarchie la plus humble du clergé ont ainsi emboîté le pas au révérend père de Montcheuil 609 . De nombreuses femmes qui ont voué leur existence au catholicisme militant, ont également su accomplir leur devoir. On aime ainsi citer le dévouement sans faille des religieuses, qui, le plus souvent, perpétuèrent avec mérite leur tradition d’aide et de secours, mais qui surent aussi s’engager plus avant dans l’action. Ainsi, par exemple, de ‘ « Sœur Marie-Yacinthe (Geneviève Falaize ’ ‘ ), des soeurs Dominicaines Missionnaires des Campagnes (qui) vient de se voir décerner la citation suivante : “A, durant l’Occupation, et surtout durant les mois d’octobre et de novembre 1944, où les bombardements étaient intensifs, assuré avec le plus grand courage le ramassage des blessés qu’elle a soignés jusqu’à leur évacuation. A longuement aidé les évadés, ainsi que les agents de renseignements”. ’ ‘ 610 ’ ‘  ».

Le Réveil se plaît aussi à évoquer la longue liste des martyrs laïcs, qui, simples fidèles, ont su, guidés par leur foi ou leur éducation religieuse, faire le bon choix. Là encore, les femmes sont citées en exemple, modèles de vertu et de courage. La plus emblématique d’entre elles est sans conteste ‘ « Léa Blain ’ ‘ , jeune française de vingt-deux ans, qui mourut en combattant pour son village et pour la France » ’. C’est d’ailleurs l’Église qui préside les cérémonies commémorant l’anniversaire du retour ‘ de « sa dépouille mortelle à Chatte ’ ‘ , son village natal » ’. Si Reynier, Rude, sous-préfet de Vienneet le colonel Malraisonassistent aux cérémonies, ce sont « Monsieur l’archiprêtre de Saint-Marcelin , l’abbé Chavan et Monsieur l’abbé Brochier , curé de Chatte », qui officient selon un rituel tout catholique, le premier en chantant l’absoute, le second en prononçant une courte allocution ‘ « où il tira les leçons de la cérémonie ».

Michel Guillemot, le journaliste du Réveil qui rend compte de la cérémonie, se charge quant à lui d’inscrire Léa Blaindans la longue chaîne des héroïnes catholiques nationales :« Glorieuse descendante de Jeanne d’Arc ’ ‘ , de Philis de la Charce ’ ‘ , ’ ‘ de Louise de Bettignies ’ ‘ , Léa Blain ’ ‘ est entrée dans la légende [...], d’autres sans doute, sont tombées comme elle, mais Léa Blain ’ ‘ est leur chef de file. Âgée de vingt-deux ans, elle n’hésita pas à mettre au service de la France toute son énergie, tout ce cran qu’elle avait su se forger pendant sa jeunesse. »

Les laïcs hommes sont, quant à eux, le plus souvent des catholiques notoires, des notables (Le Réveil a ainsi une nette préférence pour les docteurs) ou des militaires de carrière, la plupart du temps officiers supérieurs 611 .

Sous le titre « figure de la Résistance », on place encore, le 23 juillet 1945, le portrait photographique de Léon Jail, dans sa tenue du parfait scout, béret basque vissé sur le chef, chemisette largement ouverte et foulard noué autour du cou. Le Réveil, il est vrai, a un penchant très marqué pour les scouts, qu’il sait gré au général de Gaullede mobiliser régulièrement pour les cérémonies commémoratives parisiennes 612 .

Les scouts, pour Le Réveil, ont fourni de gros contingents à la Résistance. L’itinéraire de Léon Jailrésume pour le quotidien catholique celui de milliers de jeunes adeptes de l’idéologie de Baden Powell : ‘ « Léon Jail, commissaire des scouts de France, un jour prend le maquis ». Transcendé par sa vie clandestine dans la nature, il y a trouvé sa voie : « Au moment de mourir, fusillé par les Allemands, on aurait dit qu’il se détachait de sa propre vie, qu’il la dominait, qu’il la jugeait de son clair regard... »

Bien sûr, à l’instant de faire ‘ « leurs brèves prières au milieu des moqueries allemandes, c’est autour de Léon Jail ’ ‘ ’ ‘ que les terroristes se réunissent ».

Et, comme conclut Louis Helly, qui signe pour le journal la plupart de ces articles nécrologiques, la devise des scouts est d’ailleurs un vrai modèle d’appel au combat : ‘ « C’est fini. C’est magnifique de simplicité et de grandeur. Parce qu’il a vu venir la mort. « Un routier qui ne sait pas mourir n’est bon à rien »; cette devise, Léon l’a signé de son sang. On ne retrouva que son corps gisant au bout d’un chemin ombreux. »

Les catholiques, on l’aura compris, ont donc leurs propres martyrs. Tombés pour la cause de la Résistance, ils ont su mourir parce qu’ils avaient la foi. Comme pour les martyrs communistes, on remarque que le stéréotype, voire l’image d’Épinal ne sont jamais loin. De manière somme toute logique, ces représentations empruntent beaucoup à l’arrière-plan des valeurs chrétiennes les plus traditionnelles. Les jeunes filles de la Résistance sont ainsi assimilées à de diaphanes héroïnes, les maquisards donnent l’impression de jouer un sérieux et sanglant jeu de piste et les militaires ne font, après tout, que leur devoir.

Notes
609.

Sur cette belle figure, lire Jean Godel, « Un théologien dans la bataille du Vercors : le Père Yves de Montcheuil (1900-1944) », in Bulletin de l’Académie Delphinale, janvier-février, 1985, p. 7-13, et Pierre Bolle et Jean Godel, Spiritualité, théologie et Résistance. Yves de Montcheuil , théologien au maquis du Vercors, Grenoble, PUG, 1987, 381 p.

610.

Le Réveil, 14 avril 1945.

611.

Ainsi, on évoque, le 11 janvier 1945, la mémoire de Gaston Neyton, ancien conseiller général connu dans la région pour son militantisme au sein des associations catholiques : c’est un « homme attirant, ami fidèle et dévoué, guide clairvoyant, entraîneur incomparable, apôtre rayonnant ». Le 4 octobre 1944, c’est au tour du lieutenant-aviateur Gabillon, mort dans la Résistance, mais dont l’action ne fut pas différente de celle de milliers d’autres personnes, d’être extrait de l’anonymat par Le Réveil parce qu’avant la guerre, « il s’occupa activement des catéchismes de la banlieue parisienne et qu’ensuite, dans la Résistance, il se distingua par son cœur de scout routier dans le clan des rois mages ».

612.

Le 11 octobre 1944, le journal annonce ainsi que « les scouts de France prient leurs amis de bien vouloir assister à la messe qui sera célébrée par Monseigneur l’évêque , le 12 octobre à 7 heures, à la cathédrale ».