3 – Rétablir une continuité historique et politique.

Le Réveil a aussi pour but de définir et de soutenir le programme politique de la Résistance catholique. Dès le 28 septembre 1944, un article important paraît ainsi en première page, intitulé « les chrétiens dans la Résistance »,lesquels présentent leur « programme pour l’avenir ». Signé par le Comité du Témoignage Chrétien, ce programme semble effectivement directement influencé par les valeurs de la Résistance :« Les chrétiens que nous sommes entendent se séparer nettement de ceux qui, trop longtemps, abritèrent sous le manteau de la religion leur vie de passivité, d’égoïsme et d’injustice sociale. » ’ Commentant la « révolution de l’Évangile », l’article parle tour à tour de « révolution morale », de « révolution économique » et de « révolution sociale » avant de proclamer que « nous voulons pour tous la pure justice et la vraie liberté » et de crier de tout cœur « Vive la France ! Vive la République ! »

Un tel programme, dans lequel on prône ‘ « la transformation radicale des formes actuelles de la propriété privée, qui va à l’encontre de la justice sociale et du bien commun » ’, explique la bonne entente locale avec les partis de gauche et notamment avec le Parti communiste 613 .

Cependant, c’est quand même lorsqu’ils expriment leur attachement sans borne à de Gaulleque les chrétiens-sociaux du Réveil se font le plus précis. Un attachement qui touche parfois à la quasi soumission. Par exemple, voici comment Pierre Dhers conclut son éditorial du 24 janvier 1945, intitulé « Pour notre démocratie » : ‘ « la droiture de cet homme ne finira pas de nous étonner. C’est du Général de Gaulle ’ ‘ que je veux parler [...]. Ne disait-il pas, ces jours-ci, à ses camarades de combat de l’Anjou ’ ‘  : “tous, tant que nous sommes, nous exerçons des fonctions provisoires et c’est le peuple qui nous jugera... et Dieu.” Il y a là le cri d’une conscience chrétienne, mais aussi un appel à la démocratie. »

De Gaulleest bien le modèle absolu de l’homme politique providentiel pour Le Réveil, qui s’empresse de reproduire en première page le moindre de ses discours.

Politiquement, c’est le MRP qui représente le mieux pour les catholiques grenoblois leurs aspirations politiques, préférence peu à peu affirmée qui marque d’ailleurs la fin de l’atypique union avec le Parti communiste au nom du respect de la mémoire de la Résistance. Dans ce sens d’un retour à une opposition politique disons plus classique, un violent article, intitulé « Le vrai visage de la réaction », paraît en première page du Travailleur Alpin le 11 octobre 1945, c’est-à-dire quelques jours avant les élections législatives, agrémenté d’une photographie sur laquelle le cardinal Suhard, archevêque de Paris et le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, sont encadrés par ‘ « le traître Laval ’ ‘ et le traître Pétain ’ ‘  ». ’ Le quotidien communiste se fait un véritable plaisir de stipuler que ‘ « ce sont là ces cardinaux, dont on voit les têtes réjouies fleurir entre les deux piliers de la trahison nationale qui ont donné la consigne aux M.R.P. d’Alsace ’ ‘ d’ouvrir ses rangs à tous les autonomistes et à toutes les racailles de la trahison. C’est pour cela que le calice déborde ! Et que, en présence de tout cela, on ne vienne pas nous dire que la défense de la laïcité ne compte plus et que le M.R.P. est un parti démocratique comme les autres, alors que c’est simplement le déguisement nouveau de la plus vieille réaction ».

Il est en effet devenu évident pour Le Travailleur Alpin que les déclarations d’intention du Réveil, pleine d’allant à l’automne 1944, sont restées lettre morte. Et en effet, en 1945, maintenant que Le Réveil a assuré son implantation grâce à la mémoire commune de la Résistance, rien ne l’empêche plus de développer des idées largement moins consensuelles qu’à l’automne précédent. Les affrontements proprement politiques avec la gauche grenobloise se font en effet de plus en plus nombreux : l’Épuration, on l’a dit, mais aussi les élections de 1945, l’école libre, les colonies, de Gaulle, la reconstruction de l’armée, etc., fournissent autant de raisons d’opposition et de sujets de querelle 614 .

La rupture est finalement consommée le 23 février 1945, dans un article au titre provocateur : « Encore la Révolution ! » Après avoir précisé qu’‘ « on a galvaudé le mot de révolution », Le Réveil précise que « s’il va sans dire que le changement doit se débarrasser de toutes les traces du nazisme, il ne doit pas être sanguinaire et aveugle, comme celui de 1789, car les désordres et les violences injustifiées créent les dictatures. Napoléon ’ ‘ et de nos jours Mussolini ’ ‘ , Hitler ’ ‘ , etc. ». Peu à peu, le journal a donc mis au point son propre système de valeurs mémorielles, son propre réseau de filiation, complexe et surtout très original parce que n’hésitant pas à puiser ses références dans l’imaginaire collectif catholique, lequel est nourri de héros et de légendes n’ayant que très peu à voir avec la Révolution 615 ...

Notes
613.

Et le 2 janvier 1945, Le Réveil peut saluer « avec joie l’ouverture à Grenoble d’un local du Témoignage Chrétien, nous allions dire d’un foyer. Combien de cœurs n’a-t-il pas réchauffé au temps de son action clandestine ? Combien de volontés n’a-t-il pas étayées ? Personne n’oublie le cran apporté à sa diffusion sous l’œil même des Allemands et l’ardeur avec laquelle il entendait “témoigner de ce que nous savions être la vérité”. Aujourd’hui, avec la liberté revenue, le Témoignage Chrétien vient continuer son œuvre en pleine lumière ».

614.

Aux multiples justifications qu’apporte Le Réveil (encore, le 17 août 1945, l’article sur la déclaration de Pie XII, « Je ne suis ni fasciste, ni italianiste » ), répondent les éditoriaux meurtriers du docteur Moustierou de Robert Buisson, secrétaire régional du Parti communiste, comme celui du 2 octobre 1945 par exemple, qui distingue, derrière les initiales MRP les « Mouvements Réactionnaires Panachés ».

615.

Sur les usages polyvalents du mot « Révolution », lire le très riche passage de Pierre Laborie (« La Résistance comme volonté de changement », p. 70-71 notamment), in « Opinion et représentations : la Libération et l’image de la Résistance », art. cité.