La Résistance comme projet d’union politique après la victoire ne réussit pas à s’imposer. Les efforts entrepris dès l’été 1944 et encore au cours de l’année 1945 n’empêchent pas l’échec final. Et c’est évidemment là que réside le principal ennemi de la Résistance en tant qu’acteur de mémoire. Le phénomène est d’une simplicité mécanique : si politiquement elle se désunit, la Résistance est condamnée à se désunir « mémoriellement ». Le lien « logique » entre ces deux désunions est d’autant plus néfaste que si la Résistance peut espérer survivre à une compétition politique née en son sein, sa crédibilité mémorielle ne peut en revanche guère s’accommoder de dissensions trop fortes et trop visibles. Et par exemple, ce que nous présentions plus haut comme une chance et une richesse – la multiplicité des associations d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre en charge de rendre concrètement visibles les mémoires de la guerre – devient une malédiction, dès lors que la concurrence inhérente au jeu politique reprend ses droits. Dès le printemps 1945 le monde de la Résistance grenobloise s’achemine vers une inéluctable scission. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison qu’elle se noue autour de l’opposition de deux associations, le thème de la mémoire fournissant d’ores et déjà le meilleur des terrains d’affrontement. Voici comment, pour réagir à la fondation à Grenoble de la FNAR, ses opposants expliquent en mars 1945 la création d’une association volontairement concurrente, l’AMR.
‘« Cher Camarade,C’est cependant plus tard, surtout à partir de 1946-1947, que ces deux associations passeront clairement à des essais de captation de la mémoire de la Résistance, jusque là partagée si ce n’est indivise. 1945 est encore l’année des tâtonnements. Mais, en germes, l’instrumentalisation mémorielle est déjà présente.
Certes, on se rend compte du danger du fractionnement politique. On essaye alors parfois de réagir, en tentant par exemple d’inventer des passerelles entre histoire, mémoire et politique. C’est le rôle du Comité de coordination des organisations de Résistance de l’Isère et de Résistance Unie de l’Isère, dont nous verrons que le travail se compliquera à mesure que le contexte politique général se durcira (cf. infra, « La mémoire de la Résistance à Grenoble, 1947-1964 : batailles pour un monopole ? »). Reste que la pertinence du discours mémoriel de la Résistance apparaît déjà fragilisé en 1945.
Nettement classée à droite, la FNAR est dirigée par le Commandant Nal. ADI, 2797 W 92, « Résistance : mouvements ou groupements organisés à la suite de celle-ci. 1945-48 ».