I – Le « passé présent du PC » : mythes et identité communistes à Grenoble (1944-1946).

La faculté et l’habileté du Parti communiste grenoblois à construire rapidement sa propre mémoire de la Résistance pour tenter de dominer le jeu politique local à la Libération sont à proprement parler impressionnantes et s’articulent autour d’un dispositif complexe que l’on va s’appliquer à étudier.

Néanmoins, avant d’envisager sereinement son avenir politique, le Parti communiste grenoblois doit résoudre une contradiction interne, laquelle est d’autant plus embarrassante qu’elle renvoie à son très proche passé. Le silence qui fut le sien jusqu’en juin 1941 reste en effet pour beaucoup sinon suspect, du moins gênant au point de mériter qu’on s’y attarde, le temps non pas d’une justification (ce serait avouer une faiblesse), mais d’une explication. Pierre Fugainnous confiait ainsi le « désarroi » qui frappa y compris les plus disciplinés des militants communistes grenoblois quand le Parti leur intima l’ordre de ne rien tenter contre les représentants de Vichy ou les occupants italiens. Et c’est tout aussi significativement que le président de l’ANACR grenobloise parle de « soulagement » au moment du déclenchement de l’opération Barbarossa, en juin 1941 637 .

A la Libération, il est grandement temps pour le Parti communiste grenoblois de prendre la parole sur ce silence pour dissiper toute ambiguïté et fournir ainsi aux militants, les anciens comme les nouveaux, la possibilité de renouer avec le fil de l’histoire. Relayée par un organe de presse dynamique, appuyée sur un efficace réseau d’associations et de syndicats, la propagande communiste telle qu’on peut l’observer à l’œuvre à Grenoble à la Libération, tente donc de remonter loin, aux sources de l’engagement du Parti communiste dans la Résistance. Mieux, oblitérant cet épisode, le Parti (en spécialiste, marxisme oblige, de la dialectique historique 638 ) fait un usage stratégique de l’explication historique.

Et bientôt, en fait d’explication, il devient clair que le Parti communiste préfère élaborer un système d’atténuation systématique, construisant publiquement une auto-histoire qui vise à prouver l’antériorité absolue des communistes en matière de Résistance, tout en ayant soin d’éviter tout débat direct et trop contradictoire sur ce problème épineux de la date de l’engagement, grâce à la délivrance d’une vérité toute dogmatique et partisane.

Notes
637.

Première entrevue le 28 février 1991, suivie de très nombreuses autres depuis.

638.

Sur cette réécriture de sont histoire récente par le Parti, lire en priorité, sous la plume de Pierre Nora, « Gaullistes et communistes », in Les Lieux de mémoire, III. Les France. 1. Conflits et partages, Pierre Nora (dir.), Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque illustrée des histoires », 1992, p. 347-393 ; la page 359 est notamment très intéressante. Voir également Georges Lavau, « L’historiographie communiste : une pratique politique », in Pierre Birnbaum et Jean-Marc Vincent, Critique des pratiques politiques, Paris, Galilée, 1978, p. 121-163.