Le Travailleur Alpin du mercredi 6 juin 1945 ne consacre lui pas son éditorial, comme le font les autres journaux, au premier anniversaire du débarquement allié. Pratiquant sciemment le déni historique, c’est l’anniversaire d’un autre « acte historique » qui le préoccupe. Cette date essentielle selon le calendrier communiste, que l’on doit par conséquent fêter avec force, c’est celle du cinquième anniversaire de la proposition faite par ‘ « le P.C.F. au gouvernement français le 6 juin 1940 » ’ ...
Retraçant en huit chapitres l’histoire du Parti communiste dans les premiers jours de la guerre, l’éditorialiste Florimond Bonte 639 établit en effet l’ancienneté de sa volonté de Résistance, puisque, dans son expression officielle, elle remonterait au 6 juin 1940 : ‘ « la direction du P.C.F. réussit à faire remettre au gouvernement français ses propositions de salut national. Elles sont transmises, le 6 juin 1940, par Georges Politzer ’ ‘ , qui, plus tard, pris comme otage, devait tomber en héros sous les balles de la soldatesque nazie. Elles sont malheureusement rejetées par les gouvernants de juin 1940 qui firent exactement le contraire de ce que préconisait le P.C.F. » ’
Ainsi, l’appel du général de Gaullene vient qu’en deuxième position, et même en troisième, puisqu’il est précédé de « nouvelles démarches communistes » auprès du gouvernement de Bordeaux. Celui que toute la France appelle le « Premier Résistant de France » est donc chronologiquement devancé par le Parti communiste, qui estime prouver ainsi son droit d’antériorité en matière de Résistance 640 . L’effet d’objectivité que confère la simple logique chronologique est flagrant : le document et la date font preuve.
A en croire Le Travailleur Alpin, le Parti communiste ne fut d’ailleurs pas avare en démonstrations de sa volonté de Résistance.
‘« Au début de juillet 1940, sous la signature de Maurice Thorezet de Jacques Duclos, dans un vigoureux appel au peuple de France, distribué malgré la surveillance de la Gestapo et de la police française, le P.C.F. manifestait sa foi inébranlable dans le peuple où résident les grands espoirs de libération nationale et sociale. Il proclamait la volonté de la France de combattre pour la liberté et l’indépendance. Il lançait déjà l’idée de la constitution du Front de la Liberté de l’Indépendance Nationale. »’Si l’on sait à présent que cet appel à destination plus « populaire », n’est que le résultat d’un habile montage typographique 641 , il reste qu’en 1945 sa prétendue véracité permettait au Parti communiste, en démontrant que dès juillet 1940 il prenait en main l’organisation de la Résistance, de passer par-dessus l’attitude neutre – voire pro-allemande 642 – qui fut la sienne jusqu’au 22 juin 1941. L’histoire du Parti communiste pendant la guerre telle que la raconte aux Grenoblois Florimond Bonteest l’occasion de prouver la continuité sans ambiguïté de son engagement résistant. Tout simplement gommé – puisque jamais on n’en parle, cette séquence se perd dans une temporalité suspendue – le lourd silence du Parti jusqu’au déclenchement de l’attaque Barbarossa ne constitue plus un obstacle, une fois l’existence de ces appels du printemps 1940 connus des Grenoblois. L’objectivité, pour construite qu’elle soit, n’en est pas moins efficace.
Un seul mot d’ordre prévalut donc durant toute la guerre : le combat. C’est l’unique fil conducteur qui, selon le Parti, puisse permettre de comprendre son comportement, sa véritable ‘ « obsession de Résistance ’ ‘ 643 ’ ‘ ». ’
Qui sera l’auteur remarqué de De l’ombre à la lumière, Paris, Éditions sociales, 1965.
Lire, de Nicole Racine-Furlaud, « 18 juin 1940 ou 10 juillet 1940, batailles de mémoires », in Cinquante ans d’une passion française : de Gaulle et les communistes, Stéphane Courtois et Marc Lazar, préface de René Rémond, actes du colloque de Nanterre des 1er-3 octobre 1990, Paris, Balland, 1991.
Sur ce texte, lire entre autres Pierre Nora écrit : « L’appel du 10 juillet 1940 est un tract intitulé Peuple de France et signé de Maurice Thorez et Jacques Duclos , dont vingt-trois demi lignes sur cinq cents peuvent être considérés comme un appel au “Front de la Liberté, de l’indépendance et de la renaissance de la France”. Le reste affirmant en fait la position pacifiste et antibritannique du Parti Dès 1948, A. Rossi dans sa Physiologie du Parti communiste français dénonça le “faux patriotique et démontra également que le numéro de L’Humanité clandestine daté du 10 juillet 1940, sur lequel figure la version entre-temps devenue officielle de “l’Appel” et dont L’Humanité du 12 décembre 1947 avait reproduit un fac-similé, était un faux » ; in art. cité, p. 389, note 51.
Les démarches auprès des autorités d’occupation entreprise par le Parti en vue de la reparution de L’Humanité seront vivement reprochées aux communistes.
La formule est de Paul Billat. Entretien du 21 juin 1991.