2 – Un calendrier commémoratif « privé ».

2 – 1 Les martyrs communistes.

Beaucoup de cérémonies commémoratives sont donc, dès les premiers jours de la Libération, dédiées à des communistes locaux. Même s’il participe au culte des héros et martyrs consensuels comme nous l’avons vu, le Parti communiste grenoblois a une nette préférence pour ses propres martyrs qu’il désigne le plus souvent sous le vocable générique de « martyrs de la Liberté ».

René Thomas est l’un de ceux-là. Le Travailleur Alpin du 2 septembre 1944 écrit qu’« une foule énorme a conduit, hier, au cimetière, notre ami René Thomas, responsable ardent et courageux des Milices Patriotiques, militant passionné du Parti Communiste et de l’organisation syndicale. Toutes les organisations de combats étaient représentées à ses funérailles émouvantes : C.G.T., C.D.L.N., Milices Patriotiques, Parti Communiste, Femmes de France, conseillers municipaux et de nombreuses délégations ouvrières. Le cortège comprenait près de quatre mille personnes. On remarquait les drapeaux des syndicats et une bannière tricolore aux couleurs alliées ».

La vie et l’itinéraire personnel de René Thomas 650 offrent il est vrai un parfait condensé de l’image que le Parti communiste grenoblois veut donner de son propre parcours. Il est donc logique que le Parti prenne en charge ses obsèques, se présentant comme le seul officiant valable de cette cérémonie commémorative, convoquant pour l’occasion l’ensemble des associations qui gravitent autour de lui ainsi que les seuls conseillers municipaux grenoblois communistes, et excluant en retour tout représentant politique qui ne serait pas marqué du sceau du parti. Cérémonie d’ordre quasiment privé, ces obsèques permettent aussi au Parti communiste de jauger ses propres forces et sa capacité à déplacer la population. Si la présence de « près de quatre mille personnes » peut paraître exagérée, il est certain qu’en ces jours d’effervescence, le succès de telles cérémonies conforte le Parti communiste dans sa tactique de mise en avant mémorielle systématique.

Les communistes grenoblois savent d’ailleurs admirablement cibler leur action de propagande ; ils cherchent à recruter de manière prioritaire dans le monde ouvrier, conciliant ainsi admirablement les deux fonctions essentielles du Parti communiste : la classique, celle de porte-parole attitrée de la classe ouvrière et la nouvelle, celle de représentant privilégié de la Résistance.

De telles cérémonies, se multipliant fin 1944 à Grenoble et encore – quoi que sur un rythme plus modéré – tout au long de l’année 1945, sont autant d’occasions pour le Parti communiste de donner à voir avec fierté la force de la sociabilité communiste, particulière en cela qu’elle ménage une large part à la Résistance en restant consciente de ses racines ouvrières. Paul Billat, ancien député communiste de l’Isère de 1946 à 1958, nous disait ainsi que la figure du résistant est fondamentale dans l’imaginaire communiste et que, se confondant avec celle, elle aussi mythique mais plus ancienne, de l’ouvrier – le « métallo » –, elle informera pour longtemps la vision que les communistes entretiennent d’eux-mêmes après la guerre.

Notes
650.

Cf. infra, notre chapitre consacré à la toponymie urbaine dédiée à la Résistance.