2 – La Commune : ancêtre avortée de la Résistance ?

Il en va tout autrement de la Commune de Paris, deuxième période de référence privilégiée pour le Parti communiste grenoblois.

Rendant « hommage à la Commune » le 17 mars 1945, Yves Moustierétablit le parallèle, presque trait pour trait, entre l’insurrection parisienne et la Résistance : ‘ « quelles leçons pour nous qui avons connu en 1940 la trahison des hommes, des trusts de notre époque ! » ’ Seulement, rappelant l’issue fatale de la « Semaine sanglante », Moustier écrit qu’il ‘ « manquait à ces hommes (ceux de la Commune) une doctrine solide sur laquelle ils auraient pu s’appuyer pour vaincre » ’. Pour le directeur du Travailleur Alpin, c’est en revanche l’union par le communisme qui servit de doctrine aux résistants des années 40-45 et qui, cette fois-ci, « « nous a permis d’obtenir la victoire ».

Les Allobroges du 17 mars 1945, évoquant le « 18 mars 1871 et le patriotisme résistant de la Commune » ’, souligne à son tour l’indéniable ressemblance historique entre les deux périodes. A soixante-dix ans de distance, l’histoire semble effectivement se répéter ; Benoist-Méchin prend le relais de Gallifetet Thierscède la place à Pétain, qui y gagne au passage le peu gratifiant surnom de Bazaine...

D’une manière tout aussi symbolique, au Mur des Fédérés de 1871, succède le « Mur des Fusillés de 1945 », comme le proclame le titre de l’article des Allobroges du 25 mai 1945. Plus ponctuellement, le quarantième anniversaire de la mort de Louise Michel est l’occasion d’exalter le courage des femmes communardes, ancêtres exemplaires de Danièle Casanova, et en même temps de poser la figure emblématique de « la Vierge rouge », héroïne mythique du peuple de gauche, face à celle de Jeanne d’Arc, dont on pressent déjà, malgré le recours que le Parti aussi y fit pendant la guerre – et que de Gaulle continue d’y faire depuis Paris – que sa figure, symbolique de l’Union, est sortie définitivement péjorée de la captation vichyste (cf. infra, « Les Malmémoires »).

Et c’est ainsi que, logiquement, le 25 mai, dans Le Travailleur Alpin, le soixante-quinzième anniversaire de la Commune est fêté par un long et éminemment dialectique rappel historique, « en hommage aux morts » et « en exemple aux vivants ! ». Étrangement, les communistes grenoblois ne profitent cependant pas de cette occasion apparemment toute trouvée, pour mettre sur pied une cérémonie commémorative « privée ». Peut-être l’épisode communard est-il au bout du compte trop « parisien » pour eux, ou que son anniversaire est trop proche de « l’euphorie » du 8 mai.

De toute façon, le compte rendu de la cérémonie parisienne du 27 mai publié par Le Travailleur Alpin est le même pour la presse communiste de toute la France. La délégation communiste – Thorez, Cachin, Tillon, Marty, Duclos – y tient la première place, devant celle de la SFIO. Alors que le 1er mai, on appelait encore à la poursuite de la lutte, le 27 mai, c’est-à-dire maintenant que la guerre est définitivement finie, on insiste sur le fait que la manifestation traditionnelle se déroule au mur des fédérés du Père Lachaise : ‘ « elle [qui] n’avait pu s’y dérouler depuis 1939 [...]. Au souvenir des fusillés et des communards massacrés au cours de la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871, sont associés les martyrs de la Résistance, qui ont, eux aussi, lutté, et sont morts pour défendre la liberté et l’idéal républicain ».

Entre les deux dates, comme on le verra plus avant dans notre étude, le 8 mai, en signifiant la fin de la guerre, a aussi marqué la rupture entre une commémoration à fonction dynamique, tournée vers le but ultime de la victoire, et une commémoration plus volontiers dédiée au passé et au souvenir.