Les ethnologues 729 pensent que les fêtes qu’organise toute société sont une manière de prétexte à la réaffirmation, à intervalle régulier, de la cohésion de la communauté autour des valeurs, la plupart du temps politiques pour nos sociétés et notre période, qui la définissent. Le 14 juillet par exemple, constitue pour la France un point de repère essentiel pour sa mémoire historique. La prise de conscience collective, « mécanique » parce que chaque année recommencée, de son identité républicaine, lui fournit l’occasion de se retrouver face à elle-même et de jauger ainsi sa fidélité à sa propre mémoire.
Un tel processus est aussi observable à Grenoble, à la Libération. Mais là où le 14 juillet conserve une dimension d’habitude, de fête classique, de « date fixe », les premières cérémonies de la Libération doivent leur originalité au caractère quasi spontané de leur tenue, ainsi qu’à la gravité extrême des événements que l’on vient de vivre. D’où une double précocité : par rapport à l’actualité qui continue à résonner des bruits de la guerre ; par rapport aussi à l’étendue de notre période, le modèle commémoratif grenoblois se mettant en place très tôt, dès 1944-1945.
Pour être de taille, l’enjeu est en fait double. Il s’agit, dans un premier temps, de réaffirmer la cohésion de la communauté ébranlée et divisée par quatre ans de conflits, qui n’épargnèrent pas à la France les affres de la guerre civile et dans un second temps d’affirmer la qualité de la communauté ainsi retrouvée.
Les cérémonies commémoratives qui s’enchaînent à un rythme effréné dès la Libération acquise ont donc pour fonction, grâce à l’insertion du rite de la mémoire dans la discontinuité du temps et de l’événementiel, de dire que l’on est ensemble. Et le paradoxe n’est alors qu’apparent d’une population qui est plongée dans une actualité brûlante et bruissante chaque jour d’événements forts et qui manifeste une telle envie et une telle aptitude à remonter dans le temps. Le besoin est fort de renouer avec une trame historique cohérente nouée autour de valeurs identitaires puissantes car le but est d’impulser du stable dans cette période de transition, qui dure exactement un an, d’août 1944 à août 1945.
Noëlle Gérôme rappelle ainsi que « toutes les fêtes sont politiques pour Michaël Bakhtine , qu’elles soient publiques ou privées, en ce qu’elles manifestent à l’évidence, c’est-à-dire pour la société où elles adviennent, l’existence et l’importance d’une famille ou d’un groupe » ; lire « La tradition politique des fêtes : interprétation et appropriation », in Les usages politiques des fêtes aux XIX e -XX e siècles, Alain Corbin, Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky (dir.), Paris, Publications de la Sorbonne (actes du colloque de novembre 1990), 1994, p. 15-23 ; citation p. 15.