Il y a dans la tenue de cette cérémonie commémorative un fort caractère atypique de la situation grenobloise par rapport au reste du territoire, particulièrement visible sur trois plans.
Tout d’abord, Grenoble crée seul cette commémoration, sans se référer par exemple à un modèle parisien. La ville, s’affranchissant de la tutelle de mémoire qu’exerce la capitale, fait en l’occurrence preuve d’une grande originalité, qui s’explique triplement par son indéniable vécu « résistanciel », par son attachement foncier à la République 731 et aussi par sa fonction de « lieu de mémoire » historique de la Révolution 732 . Il faut signaler dans un deuxième temps que cette commémoration ne reprend pas, comme la plupart de celles qui vont bientôt foisonner – et comme c’est le cas pour le 11 novembre notamment... – sa place légitime dans le calendrier mémoriel classique, après plusieurs années d’oubli forcé, imposé par Vichy ou les Allemands. Il s’agit d’une invention totale, les cérémonies du 20 septembre 1944 à Grenoble surgissant véritablement ex nihilo : il n’est pas question d’une réactualisation, mais bien d’une innovation, d’un nouveau genre de commémoration, qui rompt avec le schéma habituel. Enfin, il est remarquable qu’une commémoration comme celle-là se révèle être très consensuelle, voire unitaire, idéologiquement et politiquement. Certes les références faciles à la Révolution, les parallèles historiques plus ou moins osés ou réussis, les allers-retours symboliques vont fleurir, comme on va le voir, mais ils ne sont pas le fait unique et encore moins le monopole de la seule gauche grenobloise. Les chrétiens-sociaux du Réveil notamment joindront eux aussi leur voix au chœur républicain. Le message délivré au cours de cette journée l’est par un Grenoble encore uni et au nom d’une conception de la mémoire encore indiscutée.
Cependant, tout comme les chrétiens-sociaux, à travers leur organe de presse, feront figure de « leaders » dans la commémoration en mai 1945 de Jeanne d’Arc, on ne s’étonnera pas de trouver les communistes et Le Travailleur Alpin occuper une place de choix dans la préparation et le déroulement de la commémoration de Valmy 733 .
Ainsi, dès le 13 septembre 1944, Le Travailleur Alpin consacrait un très gros article à la bataille révolutionnaire. Sous le titre : « Préparons l’anniversaire de Valmy ! », le texte établit un systématique rapprochement entre 1792 et 1944. Le journal communiste prend son temps et prépare le terrain une semaine avant le déroulement de la commémoration, ce qui est assez rare. Seules en effet les plus importantes dates commémoratives – notamment nationales – profitent d’habitude d’un tel traitement de faveur. Le Réveil et Les Allobroges n’emboîteront d’ailleurs le pas au Travailleur Alpin que six jours plus tard, c’est-à-dire la veille de la journée commémorative du 20 septembre.
C’est le Parti communiste qui apparaît donc comme le créateur et le premier propagandiste de la filiation, ce qui lui permet de revendiquer et d’obtenir sans discussion la place de « Grand Ordonnateur », d’officiant principal de cette commémoration. Mais Le Réveil, qui, dans son numéro du week-end du 16 septembre, s’attardait longuement sur la qualité de « Résistant de Bayard », n’hésite pas quelques jours plus tard à faire son grand écart et à suivre le Parti communiste sur le terrain, plus mouvant politiquement et instable culturellement pour lui, de la mémoire révolutionnaire. Comme le rappellent tous les journaux, et comme l’écrit surtout Le Travailleur Alpin le 20 septembre : ‘ « Valmy ’ ‘ prend, en ce 20 septembre 1944, pour chaque Français, pour chaque soldat des F.F.I., la valeur d’un symbole... » ’ On va alors s’appliquer à tisser un réseau serré de filiation dialectique entre la réalité de la Libération et des références puisées à la source, riche à souhait, de l’imaginaire collectif grenoblois propre à la Révolution.
Nous avons décelé trois thèmes privilégiés qui gravitent autour de ce symbole central que constitue Valmy et qui permet aux trois journaux grenoblois de passer aisément de 1792 à 1944.
Cf. supra, notre introduction, sur cet ancrage républicain à gauche du département et de la ville.
La journée des Tuiles était présente dans tous les manuels scolaires de la Troisième République, à travers la reproduction du célèbre tableau de Debelle (que l’on trouve encore dans tous les manuels scolaires du secondaire, au titre de document « patrimonial »...).
Bernard Montergnolenous disait ainsi la référence constante que faisait L’Humanité clandestine, pendant la guerre, à la grande bataille (entrevue du 24 mai 1991).