B – Mettre en place un calendrier commémoratif : une délicate alchimie (1944-1946).

La commémoration est la première des pratiques sociales de mémoire à laquelle on fait appel fin 1944 car c’est un moyen officiel en même temps que populaire de promotion mémorielle dont on connaît depuis longtemps l’utilité et que l’on pense pouvoir aisément maîtriser. Antoine Prosta en effet raison quand il dit qu’en 1945 ‘ « la commémoration n’est plus à inventer ’ ‘ 747 ’ ‘  » : c’est pourquoi on y a immédiatement recours. Cette extraordinaire précocité dans le travail de mémoire est bien le fait essentiel : il ne faut pas perdre de temps et renouer au plus vite, grâce à « l’outil » commémoration, la chaîne de la continuité historique française. Agissant dans l’urgence, les différents acteurs « formatent » ainsi, dans les premiers mois de l’après-guerre, un modèle qui restera, malgré quelques évolutions mineures, valide et opératoire tout au long de la période que nous envisageons.

Mettre en place la mémoire officielle de la Deuxième Guerre mondiale à Grenoble et en assurer la promotion auprès de la population, c’est tout d’abord organiser un calendrier commémoratif dont les dates soient non seulement incontestables, mais aussi fixes. Cette double exigence est très difficile à satisfaire à la Libération, parce qu’il faut à la fois savoir transiger avec une tradition commémorative principalement héritée du 11 novembre et élaborer un calendrier qui accorderait la prééminence au système honorifique local, ceci peut-être au détriment du système honorifique national que l’on entend néanmoins respecter, soucieux que l’on est de ne pas se couper de la mémoire nationale.

En outre, un des problèmes principaux sera d’oser et de savoir choisir. Commémorer, c’est en effet aussi assumer un choix entre plusieurs dates. Il faut alors vaincre l’éclatement en un nombre véritablement pléthorique des différentes dates commémoratives, potentiellement aussi valables les unes que les autres, puis les organiser en un fonctionnel classement hiérarchique.

Trois, plus une, grandes catégories de dates commémoratives peuvent ainsi être distinguées : celles tout d’abord, auxquelles on commémore des événements strictement locaux ; celles, ensuite, qui célèbrent traditionnellement des événements antérieurs à la Deuxième Guerre mondiale, mais que l’on essaie cependant de tirer vers la séquence des « années noires », afin de capter leur force de rassemblement ; celles, enfin, qui tentent de s’imposer comme les dates commémoratives officielles spécifiques à la Deuxième Guerre mondiale, et que l’on espère définitivement admises par tous.

Enfin, à part, car délibérément situées en dehors de toute volonté unanimiste, les cérémonies commémoratives partisanes, qui ressortissent elles d’une pratique quasiment « privée » 748 .

Notes
747.

Antoine Prost, « D’une guerre mondiale à l’autre », in La mémoire des Français..., op. cit., p. 25.

748.

Il s’agit de ces cérémonies que Robert Frank appelle les « commémorations locales militantes » ; in La mémoire des Français..., op. cit., p. 387. Voir supra, notre partie sur les dates commémoratives communistes.