A – 1947-1953 : Le temps des affrontements tous azimuts.

Ces quelques années sont logiquement (proximité du conflit, menace d’éclatement d’un autre, dureté de la vie quotidienne, etc.) les plus riches en affrontements de toutes sortes. Tellement d’ailleurs, que les anciens résistants 859 profitent de la force de leur parole, la plus autorisée qui soit, pour, pendant le déroulement de certaines cérémonies commémoratives, protester, s’opposer et revendiquer.

On a vu que la pléthore d’associations d’anciens résistants et déportés qui existe à Grenoble dans l’immédiat après-guerre se répartit selon au moins trois logiques. D’après la spécificité de leur expérience du conflit, évidemment ; par affinité politique ensuite, et enfin, unies cette fois-ci sur le plan de la lutte pour leurs droits, elles confient cette tâche de défense à l’UFAC 860 , qui les regroupe pratiquement toutes et qui possède, en la personne de Charles Chassigneux, un négociateur des plus opiniâtres.

Depuis 1947, l’UFAC s’oppose frontalement au pouvoir central, dont elle réprouve la politique sociale envers les Anciens Combattants et Victimes de Guerre, toutes générations confondues. Par définition, ses moyens d’action étant limités, son terrain privilégié est le terrain commémoratif. Voici par exemple un extrait significatif de la lettre qu’adresse Chassigneux au préfet, le 6 novembre 1947.

‘« Monsieur le Préfet,
Étant donné que le gouvernement, malgré tous nos efforts, et toute notre bonne volonté, a pris, à l’égard des anciens combattants et victimes de guerre, une position d’hostilité bien arrêtée, nous avons l’honneur de vous faire connaître que l’UFAC s’est vue dans l’obligation d’envisager la rupture pure et simple, avec lui, et l’autorité officielle.
Selon les directives de notre bureau national, nous devons désormais nous abstenir de toute participation aux cérémonies officielles, auxquelles nous pourrions être conviés […] 861 . »’

S’il faut évidemment faire ici la part des choses, Chassigneux entretenant par ailleurs d’excellents rapports avec Reynier, la rupture est quand même d’importance. Surtout quand on se souvient que depuis le 11 novembre 1944, la gestion de la cérémonie du 11 novembre à Grenoble est entièrement confiée à l’UFAC. En 1946 encore, la quatrième République débutante fait toute confiance à l’UFAC, trop heureuse de trouver en cette association née après la Première Guerre mondiale, un efficace relais pour continuer de travailler à la mise en place du mythe de la guerre de trente ans 862 . Le préfet de l’Isère écrivait ainsi le 4 novembre 1946 à tous les maires du département.

‘« Monsieur le Ministre de l’Intérieur m’informe que l’Union Française des Anciens Combattants manifeste l’intention d’organiser à l’occasion de la fête de la Victoire, le 11 novembre, de grandes manifestations patriotiques dans tout le département. Monsieur le Ministre des anciens combattants et victimes de guerre a donné son accord entier à un projet qui permettrait aux combattants des deux guerres, qu’ils aient appartenu à l’armée régulière ou aux formations de Résistance, d’exalter les grandes vertus françaises d’abnégation et de courage. Je vous prie en conséquence, d’entrer immédiatement en relation avec le bureau départemental de l’UFAC ou avec le délégué local de cet organisme, afin de mettre sur pied, en accord avec lui, les cérémonies projetées 863 . »’

Grand ordonnateur des cérémonies du 11 novembre, l’UFAC souffle donc le chaud et le froid. A la tactique de rupture qui vaut en 1947, succède, en 1948, celle de la participation critique. « Coincée » par le calendrier – 1948 marque le trentième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, s’abstenir eût été impossible – l’UFAC ne ménage cependant pas son interlocuteur privilégié, l’État. Son « Manifeste pour le 11 novembre 1948 », quand il aborde le domaine social, ne réclame qu’une chose : ‘ « Une France juste, c’est-à-dire soucieuse de traiter équitablement tous ses fils et en particulier ceux qui l’ont bien servie au péril de leur vie, durant les heures tragiques de son histoire ’ ‘ 864 ’ ‘ . » ’ Les antennes départementales ont pour consigne de ‘ « lire [le manifeste] le 11 novembre, au cours des cérémonies, de préférence aux monuments aux morts » ’. Peut-être d’ailleurs que l’UFAC reste trop tributaire de son ancrage à la Première Guerre mondiale, ce dont sait parfois profiter le gouvernement pour amoindrir la portée de ses critiques. En 1953, l’État organise avec force éclat le « trentième anniversaire de la flamme sous l’Arc de Triomphe ». Encore en 1954, il met tout son poids dans la préparation du « quarantième anniversaire du début de la guerre », ce qui a pour effet, conscient ou non, de couper l’herbe sous le pied aux critiques et revendications de l’UFAC, la contraignant à participer, même a minima, aux cérémonies.

Mais l’opposition du monde des anciens combattants et victimes de guerre ne se limite pas à l’action de l’UFAC. Ni à la seule cérémonie du 11 novembre, pas plus qu’aux oppositions socio-économiques, qui perdureront d’ailleurs durant toute la période, et encore de nos jours 865 .

Parfois, des circonstances extérieures, indépendantes de la volonté des deux parties, bloquent le processus commémoratif et entament son orthodoxie. Alors qu’il a accepté de présider la cérémonie d’inauguration du « monument aux morts des cheminots victimes de la guerre 1939-1945 », prévue pour le 7 décembre 1947, le préfet Reynier reçoit une lettre du chef de dépôt grenoblois l’avertissant que la cérémonie est remise sine die, ‘ « en raison des circonstances actuelles ’ ‘ 866 ’ ‘  » ’, c’est-à-dire des grèves qui paralysent à l’époque le pays. De même, très prudent, il prend garde, la même année, à ce que l’anniversaire du 18 juin ne dégénère pas 867 .

D’autant plus que tous les anciens combattants grenoblois ne sont pas d’accord entre eux à mesure que politiquement le monde se divise en deux camps irréconciliables. Ils profitent même parfois de l’espace public que leur assurent les commémorations officielles pour afficher leurs divergences. Dès 1947, on s’affronte parfois durement, la commémoration offrant l’occasion d’une crispation politique dont la presse se fait alors l’écho 868 . Encore en 1948, le parti communiste grenoblois est le fer de lance de la contestation de la politique du gouvernement, et notamment du retour en son sein des « vichystes », en la personne de Paul Reynaud notamment. Les communistes grenoblois sont en effet très actifs en ces années. Un rapport manuscrit des Renseignements Généraux du 22 août 1948 869 précise ainsi que pour la quatrième édition des « Fêtes de la Libération », ‘ « les FTP, l’ARAC, la CGT, le PCF, l’UFF, la SR, après le dépôt d’une gerbe de fleurs et l’observation d’une minute de silence, ont formé un cortège comptant approximativement cinq cents personnes, qui s’est rendu au monument des cheminots, en empruntant l’itinéraire suivant : Rue Félix Poulat ’ ‘ , Avenue Alsace ’ ‘ Lorraine ’ ‘ , Cours Jean Jaurès ’ ‘ , Cours Berriat ’ ‘ , Rue Pierre Sémard ’ ‘  ». ’ C’est dire si la tension est forte qui a conduit certains à briser l’artifice unanimiste de la commémoration. Ce « sacrilège » culmine à Grenoble en 1949. En deux occasions et non des moindres, les oppositions politiques éclatent au grand jour. Le 8 mai, le rapport n° 1993 des Renseignements Généraux 870 informe le préfet et le ministre de l’Intérieur qu’‘ « à Grenoble, un léger incident a marqué le déroulement des cérémonies commémoratives de l’anniversaire de la Victoire qui se déroulait aux monuments aux morts. Un groupe de cent cinquante communistes, portant de nombreux drapeaux, a déployé des banderoles où l’on pouvait lire : ’ ‘ ’ ‘ La France ne fera jamais aucune guerre d’agression (préambule à la Constitution) ’ ‘ ’ ‘ ; ’ ‘ ’ ‘ URSS ’ ‘  : dix-sept millions de morts ; USA : deux cent cinquante mille morts ; France : six cent mille morts, sans compter les autres ’ ‘ ’ ‘  ; ’ ‘ ’ ‘ Paix au Vietnam ’ ‘ ’ ‘  ». ’ Les enjeux géopolitiques internationaux imposent donc leur virulente actualité jusqu’à Grenoble. Mais la situation est vite rétablie : ‘ « Monsieur le Préfet et les autorités militaires leur ont fait connaître qu’ils s’y opposaient et la police a fait retirer les banderoles ’ ‘ 871 ’ ‘  ». ’ Et ‘ « à l’exception des communistes, les personnes présentes ont blâmé sévèrement l’attitude des communistes » ’, le toujours très actif Charles Chassigneux ne craignant lui pas de recourir à l’action physique :« Monsieur Chassigneux ’ ‘ , président de l’UFAC, a arraché des mains de son porteur le drapeau de cette association, qui se trouvait mêlé aux drapeaux communistes ’ ‘ 872 ’ ‘ . »

Reste que l’ordre protocolaire de la commémoration censément unitaire du 8 mai est donc doublement troublé. Une première fois par l’intrusion de la contestation politique radicale ; une deuxième fois par la modification du déroulement de la cérémonie. Cette triple scission (au sein du monde des Anciens Combattants de Guerre, dans le message global délivré le 8 mai et dans le parcours) éclaire d’un jour nouveau le fait commémoratif. Son pouvoir d’unification mémorielle apparaît en effet limité dès qu’une de ses composantes – ici les communistes et les associations d’anciens combattants et victimes de guerre d’obédience communiste – a décidé d’investir cet espace pour afficher sa différence. Cette respiration que ménage d’habitude le temps sacré de la commémoration au sein des querelles partisanes du quotidien, ne fonctionne plus en 1949. Elle n’est alors plus une accalmie, ce réduit ou, entre personnes ayant connu la même extraordinaire histoire, on partage une mémoire commune.

C’est la même logique qui est à l’œuvre, même si moins connotée politiquement, trois mois plus tard, pour les « Fêtes de la Libération ». A cette occasion, Eugène Chavant, au nom de Résistance Unie (mais sur papier à en-tête des Pionniers du Vercors...) écrit au préfet, le 16 juillet 1949 873 .

‘« Monsieur le Préfet,
Dans sa réunion du 6 juillet 1949, la Résistance Unie de l’Isère sur la proposition de Messieurs Pel et Duffourd 874 a manifesté l’intention d’organiser elle-même les fêtes de la Libération de Grenoble le 21 août prochain.
D’après le désir de ces mêmes camarades, la manifestation devrait avoir un caractère de protestations contre certaines injustices commises à l’égard de la Résistance.
A cet effet, j’ai été chargé à l’unanimité de l’Assemblée de vous demander si vous aviez l’intention d’organiser une manifestation officielle ; dans l’affirmative il serait peut-être intéressant que nous entrions en contact avec vos services à seule fin de faire une seule manifestation.
Je tiens à ajouter pour être plus complet que deux courants se sont manifestés sur la conduite à donner à cette manifestation : celui de MM. Pel et Duffourd et quelques camarades, et sur une autre proposition demandant à ce que le jour de la Libération soit un jour de réjouissance et non de protestations.
Je pense qu’à notre prochaine réunion c’est la dernière proposition qui prévaudra. » ’

Tendant la main aux représentants de l’État pour organiser conjointement les fêtes de la Libération, Chavant est raisonnablement optimiste. Mais le tract diffusé par Résistance Unie le samedi 20 août est d’un tout autre ton 875 . Après avoir classiquement rappelé que ‘ « l’union la plus totale s’est réalisée pour que ces manifestations en dehors de toute ingérence politique, expriment les sentiments de ceux qui furent les meilleurs artisans de la libération nationale » ’ et que, ‘ « à Grenoble, sous l’égide de la Résistance Unie de l’Isère qui rassemble en son sein toutes les organisations de Résistance [...] aura lieu un grand rassemblement des résistants à 11 heures, devant le monument du Docteur Valois ’ ‘ [...] » ’, on passe à un deuxième volet, résolument plus critique. La façon dont sont libellées les deux phrases de transition qui articulent ce passage du volet mémoriel stricto sensu au volet critique montre que les anciens résistants et déportés ont nettement conscience de la double dimension qu’ils attribuent de fait à la cérémonie et qu’ils cherchent même à s’en expliquer auprès de la population : ‘ « Ensuite un cortège se rendra à la Préfecture déposer les nombreuses doléances des anciens soldats sans uniforme. Car si ceux-ci, au cours des commémorations, célèbrent la mémoire de ceux des leurs qui donnèrent leur existence à la cause de l’honneur national et de la liberté, ils entendent aussi protester énergiquement [...]. »

Il est vrai que la critique est incisive.

‘« Amorcée depuis la fin de l’année 1944, la campagne haineuse qui tend à discréditer la Résistance en même temps qu’elle vise à réhabiliter les anciens agents de l’ennemi atteint aujourd’hui une ampleur outrageante.
[Résistance Unie proteste contre le fait] Que la qualité de résistant devient peu à peu une tare, tandis que l’on voit célébrer ici et là, la mémoire de certains traîtres et collaborateurs notoires.
[Résistance Unie proteste contre le fait] Que ceux qui écrivirent une des plus belles pages de l’histoire de notre pays sont, moins de cinq ans après la libération, mis dans la situation de subir des injures et bien souvent emprisonnés. »’

Pour Résistance Unie, la Résistance et les résistants sont, cinq ans après la Libération, trahis. Pire, l’injure de l’oubli commence de se faire ressentir ici et là. Les Allobroges du 29 août 1949, titrant que ‘ « Voiron ’ ‘ a célébré dignement le cinquième anniversaire de sa libération » ’, note, dépité, que ‘ « la Libération doit être un vieux souvenir pour certains. Vous vous souvenez, Voironnais ! Il est vrai : cinq ans. C’est déjà loin. Un trop grand nombre se retrouvait résistants, cet enthousiasme, ce déluge de drapeaux... Aujourd’hui, on regarde passer un cortège de patriotes, comme une caravane de cirque, témoin cette discussion de jeunes à la terrasse d’un café. ’ ‘ ’ ‘ Pourquoi fêter la Libération ? mais les boches n’ont jamais occupé Voiron ’ ‘ ’ ‘ . Innocence ? Insouciance ? ».

Par définition, la commémoration est à la fois gage et promesse de fidélité. Elle a donc besoin au premier chef, son calendrier une fois arrêté, qu’on s’y conforme exactement. On a vu que dès 1945-1946, la discipline et l’orthodoxie calendaire sont des conditions sine qua non de la réussite des cérémonies, notamment les plus locales. De fait, il n’y aura à Grenoble guère de problème dans ce dernier domaine. Certes, quelques concessions (manifestation prévue après 18 h 15 pour telle ou telle cérémonie, afin de ne pas « pénaliser la production » selon la formule consacrée), divers aménagements (les « fêtes de la libération de Grenoble » pour bénéficier de deux jours pleins, sont décalées au samedi 25 et au dimanche 26 août en 1951, sans que ces dates ne semblent gêner personne) sont parfois nécessaires, mais qui ne troublent pas l’harmonie de l’édifice mémoriel démonstratif que constituent les cérémonies commémoratives.

La véritable bataille se joue au niveau national, on le sait 876 . Depuis la loi du 7 mai 1946, la commémoration de la victoire est fixée au dimanche qui suit le 8 mai. C’est évidemment une entorse de taille au principe de fidélité. La situation se complique du fait qu’en outre, le premier dimanche de mai, est prévue ce que les autorités nomment parfois ‘ « la fête traditionnelle de Jeanne d’Arc ’ ‘ 877 ’ ‘  » ’. Le message du 8 mai risque donc d’être deux fois brouillé. Les anciens résistants et déportés grenoblois pourtant peu concernés de prime abord par cette date, sûrement trop étatique, officielle et militaire, et pas assez locale, ne vont cependant cesser de protester contre ce décalage mémoriel. Parfois, les hasards du calendrier semblent vouloir aider objectivement l’Etat. En 1948, par exemple, le dimanche qui suit le 8 mai tombe… le 9 ; ce qui laisse toute latitude pour organiser un long week-end commémoratif : le 8 sera dédié à Jeanne, le 9, réservé aux résistants et déportés. Un an plus tard, le 8 mai tombe même un dimanche !

C’est en fait au début des années 1950 que les « anciens combattants de 1939-1945 878  » accentuent la pression. Dès 1951, on semble près d’aboutir. Le préfet Ricard écrit aux maires de l’Isère, le 25 avril.

‘« J’ai l’honneur de vous faire connaître que pour répondre au désir légitime des anciens combattants de 1939-1945, le gouvernement a décidé cette année de commémorer la victoire que les armées françaises et alliées ont remportée en 1945, le jour anniversaire de l’Armistice, sans attendre le premier dimanche qui suit ce jour (loi du 7 mai 1946). [Cependant], en raison de la situation économique du pays et alors qu’un effort plus grand est demandé à la nation, il n’a pas été possible de faire du 8 mai une fête chômée, mais il a été décidé de donner à cette journée un éclat particulier. Pendant toute la journée, les bâtiments et monuments publics devront donc être pavoisés. En fin d’après-midi, vers 17 H 30, afin que les populations puissent participer en plus grand nombre à la cérémonie, les autorités civiles et militaires iront s’incliner devant les monuments aux morts ou les monuments commémoratifs traditionnels et y déposeront des gerbes de fleurs 879 . » ’

La loi de 1946 reste bien en vigueur, mais on en assouplit la rigueur. Quant à la fête nationale de Jeanne d’Arc, elle est à sa place, le premier dimanche de mai, c’est-à-dire qu’en 1951, elle tombe le… 6.

1952 marque, pour les Anciens Combattants grenoblois de la Deuxième Guerre mondiale un net recul. On revient à la situation antérieure. 1951 n’aura donc été qu’une exception, dont on peut penser qu’elle fut surtout motivée par des raisons pratiques. En effet, reporter les cérémonies du 8 mai au premier dimanche qui suit cette date aurait mené jusqu’au 13 mai. C’était pour le coup probablement trop lointain. Le mécontentement aurait pu être très vif et le gouvernement préféra donc être prudent.

Mais c’était reculer d’un an à peine le traitement au fond du problème. En 1952, revenant à la stricte application de la loi de 1946, le gouvernement déçoit en effet terriblement les anciens résistants, d’autant que les affrontements ont déjà été sévères à propos de la commémoration des journées de février 1934 880 . Ricard a beau laisser une grande liberté aux maires pour l’organisation des cérémonies du 8 mai ‘ (« Comme les années précédentes, le choix des manifestations qui pourront être organisées à l’occasion de ces fêtes ainsi que celui des personnalités et groupements que vous croirez devoir consulter à cet effet, sont laissés à votre initiative, mais vous devrez en particulier vous assurer le concours des associations d’anciens combattants et victimes de la guerre ’ ‘ 881 ’ ‘  » ’) ; il a beau les enjoindre à la discrétion, espérant désamorcer la crise qui couve depuis maintenant six ans ‘ (« dans certaines localités, les organisations intéressées par ces manifestations ont décidé de célébrer l’anniversaire de la Victoire du 8 mai. Je ne peux dès lors que vous laisser juge de l’opportunité d’assister aux cérémonies projetées qui devront se dérouler en dehors des heures de travail. Dans ce dernier cas, les cérémonies officielles du 11 mai seront réduites aux plus strictes proportions et consisteront par exemple en un dépôt de gerbes aux monuments aux morts ’ ‘ 882 ’ ‘  » ’), il ne peut éviter la rude réaction des ACVG. C’est encore une fois Charles Chassigneux qui fait entendre le plus fort sa voix. La lettre-manifeste qu’il signe au nom de l’UFAC mérite d’être citée in extenso parce qu’on y lit clairement une forte condamnation du principe de la CED. En 1953, la commémoration n’est ainsi plus une ponctuation de paix, mais au contraire la prolongation de la guerre.

Sûrement est-ce la multiplication de telles prises de parole lors des cérémonies commémoratives publiques et l’afflux de lettres de ce type au gouvernement et aux parlementaires qui conduit enfin, le 20 mars 1953, à voter la loi n° 53.225.

Aboutissement d’un long « lobbying » mémoriel, le 8 mai est à présent célébré le 8. Il est considéré comme une fête nationale ; il est chômé et férié, à l’égal du 14 juillet et du 11 novembre.

Notes
859.

Il y aurait à creuser à propos de cette expression, apparemment anodine : quand les résistants – et les déportés – se considèrent-ils « anciens » ?

860.

L’Union Française des Anciens Combattants est née après le premier conflit mondial pour fédérer les anciens combattants.

861.

ADI, 54 M 44, « Police Générale. Cérémonies. 11 novembre 1945-1954 ».

862.

La quatrième République continue bien en ce domaine l’œuvre de De Gaulle, notamment en poursuivant la mise en avant systématique du rôle de l’armée dans le relèvement national.

863.

ADI, ibidem.

864.

Signé par Léon Viala, au nom de « L’UFAC, combattants de la Libération et victimes des deux guerres ». ADI, ibid.

865.

Comme nous le rappelait Monsieur Zaparucha ; entrevue du 2 mars 1999.

866.

ADI, 2797 W 52, « Cérémonies commémoratives ».

867.

Voir annexe n° VII.

868.

« S’abstenant des manifestations gouvernementales, les combattants des deux guerres ont célébré la victoire et fait valoir leurs droits », Les Allobroges, 12 novembre 1947, 1ère et 2ème p. Ou encore Le Réveil, qui le 12 novembre 1947, en 1ère page, prend l’exact contre-pied du journal communiste. Voir annexe n° VIII.

869.

ADI, 2696 W 62, pochette 4, « Anniversaire de la Libération de Grenoble ».

870.

ADI, 54 M 42, « Fêtes nationales de la Victoire et de Jeanne d’Arc. 1948-1954 ». Pour un exemple archétypal de cette opposition, voir l’article du Réveil, en 3ème page, le 25 août 1947, « Une odieuse exploitation », qui demande si les communistes, « promenant à travers les rues les photographies de ses morts avec la mention “Parti Communiste” a voulu tenter de s"annexer tous les morts de la Résistance ? Le P.C. a ses martyrs devant lesquels nous nous inclinos, mais il n"est pas le seul. Les autres partis auraient pu en faire autant car il y a eu aussi des R.P. de Montcheuil , des Gilbert Dru, des Jail, ou des Dominique Mounier ... Les morts de la Résistance qui, dans les maquis ne regardaient pas la couleur, ne sont pas tombés pour qu"on les transforme en panneaux-réclame ».

871.

ADI, ibidem.

872.

ADI, ibid.

873.

ADI 2797 W 52, « Cérémonies commémoratives », pochette 2, « Fêtes de la Libération. 20-21 août 1949. Cérémonies commémoratives dans l’Isère ».

874.

Tous deux sont des militants communistes.

875.

Voir annexe n° IX pour un autre exemple (1947) de cette constance dans l’affrontement entre les ACVG et le gouvernement.

876.

Voir Henry Rousso, Le syndrome de Vichy…, op. cit., notamment « Les silences de la commémoration », p. 254-259 ainsi que « Cet obscur objet du souvenir », in La Mémoire des Français…, op. cit., p. 47-61.

877.

Circulaire de Reynier aux maires et sous-préfets, 5 mai 1948. ADI, 54 M 42. Cette fête, pour traditionnelle qu’elle est, n’en est pas moins officiellement une « fête nationale » (loi du 10 juillet 1920).

878.

C’est ainsi que parlent les circulaires officielles.

879.

Circulaire du 25 avril 1951 ; ADI, 54 M 42.

880.

C’est en effet cette année-là que les cérémonies publiques sont interdites. Alors qu’en 1951, « [...] environ 600 personnes se sont rassemblées devant le Monument des Fusillés , cours Berriat [à l’appel] du PCF, du PSU, de l’UFF, de l’UJFF, de l’lUJRF, de la FNDIRP et de France-Urss » (note de renseignement n° 242 des RG, qui précise que l’appel lu ce jour-là par Charreton, secrétaire de l’Union Départementale de la CGT, stipule que « le réarmement de l’Allemagne est la préparation de la guerre. Dans cette région qui a tant souffert de l’occupation nazie, il n’est pas un homme, pas ne femme qui ne se dressez devant cette chose abominable qu’est le réarmement de l’Allemagne » ; ADI, 2696 W 62, pochette 1, « Commémoration des événements de février 1934 »), Le Travailleur Alpin publie en première page de son numéro des 9 et 10 février 1952 un article à la tonalité virulente : « [...] L’interdiction de la commémoration du 12 février 1934 par le Gouvernement de M. Edgar Faure a fait se lever un mouvement de protestation considérable. Cet acte fasciste n’a eu de précédent que sous le régime de Vichy et l’occupation nazie ». Voir en annexe n° X la résolution votée par le Comité d’organisation pour la Commémoration des événements du 12 février 1934.

881.

ADI, 54 M 42. Circulaire du 4 mai 1952.

882.

Ibidem.