A – « Aux héros de la Résistance, Grenoble reconnaissante ».

Tout d’abord, rappelle Marion 968 , ‘ « nous avons voulu, à cette occasion, affirmer notre reconnaissance envers ceux qui, au cours de l’Occupation de notre région par les ennemis, ont été les pionniers de la Résistance, et ont payé de leur vie leur dévouement à la cause sacrée de la Patrie et de la Liberté » ’. La prépondérance absolue en matière d’attribution de noms aux rues grenobloises revient ainsi logiquement aux figures de « notre région », la spécificité de l’héroïsme local étant affirmée d’emblée et prenant la première place dans cette manière de hiérarchie de l’honneur qui s’institue de fait. Néanmoins, ce tout premier besoin étant rapidement satisfait, le souci de créer et d’entretenir civiquement une nouvelle mémoire suit de très près : ‘ « C’est ainsi que nous entendons perpétuer le souvenir du doyen Gosse ’ ‘ , de Paul Vallier ’ ‘ , de Jean Pain ’ ‘ et de Jean Perrot ’ ‘ , dont les noms sont respectueusement donnés aux artères indiquées ci-après ’ ‘ 969 ’ ‘ . »

Marion lit alors les biographies, très circonstanciées, de ces héros. Il n’est pas innocent, loin s’en faut, que parmi tous les résistants morts au cours de cette année d’occupation allemande, le Conseil municipal ait choisi ces quatre noms. Associés dans un même but de perpétuation du souvenir, leur groupe voudrait constituer une vision parfaite de cette unité que l’on dit avoir été la règle de vie absolue dans la Résistance, et plus encore, de l’unité que l’on veut conserver dans la gestion du souvenir de ces années de lutte clandestine.

Ainsi, les résistants évoqués ici exerçaient des responsabilités au sein des MUR, dont le nom « sonne si bien 970  » . Ils sont en outre très proches du Parti socialiste, puisqu’ils ont tous été militants de deux organisations de Résistance où l’influence socialiste, surtout à Grenoble, est nette. L’unité ainsi mise en scène est donc assez particulière, puisqu’elle est exclusive de plusieurs des composantes politiques majeures de la Résistance.

En effet, si Jean Pain et Paul Vallier agissaient au sein de Combat, créé par Henri Frenay et dont la correspondante puis la fondatrice à Grenoble fut Marie Reynoard, dont on ne sait pas encore qu’elle ne reviendra pas de Déportation ; si Jean Perrot était lui chef départemental de Franc-Tireur, qui rassemblait surtout d’anciens membres du Parti socialiste, fédérés autour d’Aimé Pupin, de Léon Martin et d’Eugène Chavant, créateurs des premiers maquis du Vercors et si, enfin, tout le monde connaissait les opinions et les options politiques du doyen Gosse (Moulin rappelle qu’‘ « inscrit au Parti socialiste, le doyen Gosse fit partie de l’Assemblée communale avec les municipalités Mistral ’ ‘ , Martin ’ ‘ et Cocat ’ ‘ 971 ’ ‘  » ’), il faut remarquer qu’aucun militant d’une organisation de Résistance liée de près ou de loin au Parti communiste ne figure dans ce premier quatuor.

On peut également noter qu’il existe une espèce de hiérarchie interne au sein de ce groupe. La figure la plus haute, la plus connue, la moins contestée et contestable, celle dont on vient de rappeler l’importance morale de son rôle, arrive ainsi logiquement la première : le doyen Gosse transfère en quelque sorte sa fonction universitaire au domaine de la Résistance, et devient le doyen de la Résistance grenobloise. Pour lui (mais aussi pour son fils Jean, assassiné le même jour que lui, car le rapporteur précise qu’il faut honorer « leur mémoire »), on débaptise la place Pasteur, ainsi dénommée sous Vichy 972 .

Après lui, les trois autres personnalités dont on donne les noms à quelques rues grenobloises sont ensuite assez proches les unes des autres 973 .

Le nom de Paul Vallier, le « chien fou » comme l’appelait Pierre Fugain, le « casse-cou » comme le qualifiait Gustave Estadès 974 , est attribué à ce qui était jusque là la place des Alpes. Juste derrière le doyen Gosse, il personnifie en quelque sorte le bras armé de la Résistance ; après la dimension intellectuelle et « organisationnelle » de la lutte clandestine, sa dimension combattante. Personnage d’exception, Moulin demande même s’il est ‘ « nécessaire d’exposer la biographie de Paul Vallier, “Héros légendaire du maquis dauphinois”, surnommé à juste titre le “Héros n° 1 de la Résistance grenobloise” ’ ‘ 975 ’ ‘  ».

Très près de la place des Alpes, le boulevard des Alpes est à son tour débaptisé pour prendre le nom de boulevard Jean Pain . On honore par là non seulement la corporation des journalistes, qui entrèrent pour beaucoup d’entre eux dans la Résistance, mais aussi le résistant actif, « Grenoblois d’adoption » , dont la figure, à l’époque consensuelle, pose historiquement des problèmes que l’on envisagera plus loin.

Enfin, l’avenue d’Eybens devient l’avenue Jean Perrot, du nom de ce docteur en droit, directeur et associé des entreprises Sappey, ‘ « unanimement aimé et estimé de tout son personnel ’ ‘ 976 ’ ‘  ».

Notes
968.

Membre de la Commission de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, chargée d’étudier les changements de noms des rues. Bulletin Municipal Officiel, 1944, p. 184-187 pour l’allocution de Moulin et p. 288 pour un pratique tableau récapitulatif.

969.

Ibidem, p. 184.

970.

Pierre Bolle, « Soumission et Résistance (1942-1944) », chap. XII, in Histoire de Grenoble, Vital Chomel (dir.), Toulouse, Privat, 1976, p. 400.

971.

Il participait au réseau Marco Polo, et Pierre Bolle nous dit de lui qu’il « est considéré comme le chef moral de la Résistance dans le département de l’Isère » (ibidem, p. 399).

972.

Le nom est attribuée à une autre place grenobloise. Bulletin Municipal Officiel, 1944, p. 185.

973.

Ces trois personnalités ont d’ailleurs ceci en commun qu’elles ont toutes trouvé la mort au cours de la Saint-Barthélémy grenobloise en novembre 1943, le doyen Gosse étant lui assassiné en même temps que son fils le 20 décembre 1943.

974.

Cf. supra, notre partie consacrée au héros grenoblois.

975.

Bulletin Municipal Officiel, 1944, p. 185.

976.

Ibidem, p. 186.