C – Les empreintes de la souffrance.

La dernière catégorie est celle des martyrs locaux. Différente de la première (et aussi de la deuxième catégorie) qui honorait des Combattants, des résistants, des hommes engagés, cette troisième rubrique est consacrée à perpétuer le souvenir des Victimes.

Au niveau collectif, et bien qu’on englobe ces deux nouvelles appellations dans une seule et même volonté de fêter les « combattants du Vercors  », on baptise le terrain près des établissements Bouchayer et Viallet du nom de « square des Fusillés  » (ceux du 14 août 1944 980 ) et l’ancien chemin des buttes, celui qui conduit au charnier du Polygone, ‘ « chemin des Martyrs ’ ‘ , pour commémorer le souvenir des malheureuses victimes de la barbarie teutonne ’ ‘ 981 ’ ‘  » ’. Dans le même registre, mais à part, puisqu’il est question d’individus et non plus de groupes, la ‘ « Commission a exprimé le désir que, dans le but d’honorer la mémoire de deux de nos concitoyens victimes également de la répression nazie et milicienne, le docteur Butterlin ’ ‘ et le docteur Jacques Girard fils, leurs noms soient attachés, pour le premier à la Polyclinique de la rue Aristide-Bergès ’ ‘ et, pour le second, à l’un des pavillons des Hôpitaux civils de Grenoble ’ ‘ 982 ’ ‘  » ’. Ces deux cas sont doublement intéressants car ils permettent d’impliquer les Nazis, mais aussi d’incriminer la très française Milice – on ne fait pas l’impasse sur les responsabilités françaises en matière d’exactions – ; et parce qu’ils ne concernent pas directement des voies publiques ressortissant du domaine urbain de Grenoble, la municipalité se contentant alors d’‘ « émettre auprès de l’autorité préfectorale et des organismes compétents un vœu » ’ dans le sens de ce changement 983 .

Enfin, last but not least, le Conseil municipal décide de ‘ « supprimer le nom de boulevard Maréchal Pétain ’ ‘ et de rétablir celui de boulevard Gambetta ’ ‘ dans toute la longueur de cette voie ’ ‘ 984 ’ ‘  » ’. C’est ainsi que ce dont Le Travailleur Alpin faisait son gros titre n’arrive en fait qu’à la fin de la délibération du Conseil municipal. Cette décision inaugure d’ailleurs la rubrique qui rétablit les noms primitifs de plusieurs rues (quatre au total : Louise Michel, Edouard Vaillant, Jules Guesde et Albert Thomas), attribuant aux personnalités qu’elles honorent le statut de résistants historiques, dont on peut enfin réhabiliter la mémoire, effacée et supprimée par Vichy. La continuité républicaine dans la structuration de la toponymie urbaine grenobloise est bel et bien réaffirmée.

Et c’est le retour au vrai nom du boulevard Gambetta qui est pour beaucoup le fait le plus important, parce que le plus symbolique de la fin d’une époque. Il efface toute trace visible de la Révolution nationale et par extension de la guerre et de l’Occupation. Ce « rebaptême » est en fait l’acte fondateur du renouvellement de la nomenclature urbaine grenobloise au profit de la Résistance 985 .

Ancienne dénomination. Nouvelle dénomination.
Place Pasteur
Place située devant la Cité Universitaire
Place des Alpes
Boulevard des Alpes
Avenue d’Eybens
Partie du cours Jean-Jaurès entre le boulevard Joseph-Vallier et le Rondeau
Rue du Moucherotte
Terrain près des Établissements Bouchayer et Viallet
Chemin des Buttes
Avenue de Gières
Rue d’Echirolles
Boulevard Maréchal-Pétain
Rue Jean-Mermoz
Rue Niepce
Rue Daguerre
Rue Jules-Lemaître
Place du Doyen-Gosse
Place Pasteur
Place Paul-Vallier
Boulevard Jean-Pain
Avenue Jean-Perrot
Cours de la Libération

Rue du Vercors
Square des Fusillés (14 août 1944)

Chemin des Martyrs (1943-1944)
Avenue de Valmy
Rue de Stalingrad
Boulevard Gambetta
Rue Louise-Michel
Rue Jules-Guesde
Rue Albert-Thomas
Rue Edouard-Vaillant

Notes
980.

On choisit cette expression – square des Fusillés – de préférence à celle d’abord envisagée de « square de la Libération », afin de ne pas risquer la confusion avec le cours ainsi récemment dénommé. Cf. les échanges de correspondance dans ce sens, Archives Municipales de Grenoble, 1 M 87.

981.

Bulletin Officiel Municipal, 1944, p. 186.

982.

Ibidem, p. 186.

983.

Ibid., p. 187. A notre connaissance, ce vœu ne sera d’ailleurs pas suivi.

984.

Ibid., p. 187.

985.

Cette opération de réappropriation était nécessaire afin de mettre sur pied la mémoire propre de la Résistance, l’essentiel étant qu’il n’y ait pas de blanc entre ces deux systèmes honorifiques antagonistes, et que le nouveau succède immédiatement à l’ancien. La cristallisation haineuse autour du nom de Pétain est telle que certains des anciens résistants que nous avons interrogés parlent encore du « Boulevard Maréchal Pétain ».